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par toutes les civilisations. Et les soldats rentrent dans l’église* La famille royale a gagné sa chapelle qu’une grille légère sépare de la nef. Capitaines, marchandes, dames, enfans, escouades, venus pour la seconde messe, ne se lassent pas de contempler le pur idéal inclus dans cette trinité d’esprits.

Avec la mine d’un cuirassier que travestissent l’or et le velours rouge de la chasuble, un prêtre officie rapidement au milieu de cette foule inclinée sous le tourment atroce de son Dieu. On imagine qu’elle se tient là debout, à genoux, pour assister son roi en prière devant la suprême justice, pour lui confirmer, durant cet examen de conscience, la foi des Belges en la vérité de sa décision immolant leurs richesses, le royaume et tant de vies courageuses plutôt que la probité de leur signature nationale. Côte à côte, épaule contre épaule, fusiliers, artilleurs, cavaliers, enfans et mères forment une âme compacte, murmurant, avec ses princes, les mêmes mots du missel. Au Christ de Rubens n’offrirent-ils pas ensemble, très sincèrement, l’opulence de leur patrie, les arts illustres de leur capitale, les architectures et les trésors sans prix de leurs villes, la paix de leurs villages, les mille et mille existences de leurs martyrs ruinés, torturés, dépouillés, de leurs vierges violées, la beauté plantureuse de leurs campagnes aujourd’hui dévastées ? N’offrent-ils pas même ce qui leur reste encore, ces quelques cités attestant le génie qui les sut construire, orner, parfaire, ces quelques champs labourés par la charrue et par les obus de la bataille quotidienne, même cette dune sablonneuse avec son décor de maisons fragiles, avec sa mer furibonde, et son église neuve toute droite dans la tempête ?

Le Roi se dresse bien droit dans le malheur, aussi. Tous les fronts au soleil, près de lui, pensent. Ils sont la Belgique sainte qui, de siècle en siècle, a complété la splendeur de ses cathédrales, qui les a, par ses talens, pourvues de sculptures, de tableaux non pareils, qui a bâti des cités pieuses, laborieuses, puis fastueuses, autour des chapelles jadis rustiques, ensuite magnifiquement agrandies. Ne peuvent-ils pas implorer sans crainte l’ange exterminateur afin que, par le moyen de leur vaillance, il anéantisse la multitude sauvage des Teutons incendiaires de bibliothèques, tueurs de prêtres, destructeurs d’églises ? Comment le ciel refuserait-il la victoire capable de rétablir en son droit le peuple qui ne se bat que pour