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DANS L’AIR QUI TREMBLE


I

Depuis les brumes de l’horizon, sous le vol des cormorans, accourt indéfiniment la furie de la mer. Innombrables, ses hydres partout surgissent. Elles vont, échevelées. Elles se défient. Elles enflent. Elles luttent. Elles bondissent. Elles renaissent. Elles se surmontent. Elles se dévorent. Elles s’épanchent. Elles s’étalent jusque sur la plage où s’épanchent aussi les flots des bataillons belges, où surgissent les attelages des batteries, où galopent de sombres cavalcades, où descendent, hérissées de baïonnettes, les colonnes de bataillons. Au Nord, la tempête secoue les manteaux noirs des artilleurs. Wouvermann a noté ce vent qui s’oppose à la marche de l’infanterie, qui lève la poussière sur les dunes. Ici et là, des escadrons et quelques villas de baigneurs, gentilles, frêles, diverses, se groupent contre le gris bouleversé du ciel. Au Sud, la Croix-Rouge signale l’hôpital. Des automobiles successifs amènent, du front proche, quelques héros boueux, avec des membres emmaillotés de gazes sanglantes. Sur le faîte des collines sablonneuses, mille et mille soldats entourent les petites maisons au style baroque. Ils habitent bruyamment, comme les convives d’un Jordaens, ces demeures en stuc rose, en stuc gris, en bois peint, qui forment un décor de fête et de paix. Devant le trottoir de briques, tels conscrits joufflus étendent leur lessive dans la « villa Louison. » Steen eût peint à merveille leur vérité. Tels vétérans de Louvain astiquent leurs fusils dans celle des « Glaïeuls. » Pour un Terburg ou un