Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/582

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la ténacité clairvoyante que l’expérience des mois suivans allait développer.

Il est difficile de décrire sans apparente exagération l’état d’esprit du début de la guerre : l’assurance, l’équilibre, cette sorte de fatalisme souriant avec lequel Paris allait à sa tâche ; Quelquefois, par les beaux soirs de lune, cette influence semblait émaner de la beauté de la saison et du religieux silence de la capitale. La guerre, furie hurlante, s’était annoncée par une grande vague d’apaisement. Jamais calme du désert ne fut plus complet : le silence des villes est tellement plus profond que le silence des bois ou des champs !

La lourdeur accablante du mois d’août rendait plus intense cette impression de vie suspendue : les jours étaient taciturnes, mais la nuit on entendait la voix même du silence. Dans le quartier que j’habite, toujours abandonné pendant l’été, les rues aux volets clos étaient muettes comme des catacombes, et le plus léger bruit trouant le silence semblait déchirer un voile funèbre. Je pouvais entendre à près d’un kilomètre le trot inégal d’un cheval boiteux, et les pas du sergent de ville montant la garde près de l’Ambassade de l’autre côté de la rue résonnaient sur le trottoir comme une série de détonations. Même les bruits si variés du réveil de la ville avaient cessé. Si quelques balayeurs ou chiffonniers poursuivaient encore leur métier, ils le faisaient mystérieusement, comme des ombres. Je me rappelle, un matin, avoir été tirée d’un profond sommeil par une soudaine explosion de bruit dans ma chambre. Je me dressai en sursaut et découvris que j’avais été réveillée par des bonjours échangés à voix basse dans la rue.

Une autre chose écartait de Paris la réalité de la guerre : c’était l’absence de troupes dans les rues. Après le premier flot de conscrits se hâtant vers leurs dépôts on aurait pu croire que le règne de la paix était revenu. Tandis que des villes d’importance secondaire fourmillaient de soldats, nul reflet d’armes n’étincelait dans les voies désertes de la capitale, nulle musique militaire n’y résonnait. Paris, méprisant tout étalage guerrier, nourrissait le patriotisme de ses enfans de la vue de sa seule beauté ; et cela suffisait.

Même quand les nouvelles des trop éphémères succès en Alsace commencèrent à arriver, les Parisiens ne se départirent pas de leur allure placide. Les crieurs de journaux furent les