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Le lendemain, l’air était lourd de rumeurs. Nul n’y croyait ; tous les répétaient. La guerre ? Mais la guerre était impossible 1 Les gouvernans étaient comme des enfants imprudens qui jouent trop près du bord de l’eau ; mais l’insouciance coutumière, l’entraînement de la longue habitude persistaient en face des discussions creuses des diplomates. Paris poursuivait tranquillement sa quotidienne besogne d’été : loger, vêtir, amuser la grande armée des touristes, seule invasion que la ville eût subie depuis bientôt un demi-siècle.

Néanmoins, chacun savait qu’en même temps une autre besogne invisible se poursuivait aussi. Ce pays, dont rien ne semblait troubler la tranquillité, était en réalité traversé de courans silencieux et cachés qui le préparaient à la lutte. Ces préparatifs, on les sentait dans l’air calme comme l’on sent un changement de temps dans la douceur embaumée d’une après-midi sereine. Paris comptait les minutes jusqu’à l’apparition des journaux du soir. Ils ne disaient rien ou presque rien, sauf ce que tout le monde déclarait déjà dans le pays entier : « Nous ne voulons pas la guerre ; mais il faut que cela finisse ! » C’était la seule phrase que l’on entendît. Si les diplomates pouvaient encore éviter la guerre, tant mieux ! Personne ne la désirait en France. Ceux qui ont passé les premiers jours du mois d’août dernier à Paris témoigneront de l’accord général sur ce point. Mais vienne la guerre et le pays était prêt, comme l’était le cœur de tous ses enfans.

Le lendemain matin, chez la couturière, les essayeuses fatiguées se préparaient à partir pour leurs vacances habituelles. Elles étaient pâles et anxieuses. Partout, l’atmosphère s’alourdissait d’une appréhension grandissante. Rue Royale, à l’angle de la place de la Concorde, quelques personnes étaient arrêtées devant un bout de papier blanc collé au mur du Ministère de la Marine. On y lisait : « Mobilisation générale. » Une nation armée sait ce que cela veut dire ! Cependant, les passans rassemblés autour de l’affiche étaient calmes et peu nombreux. Ils lisaient l’annonce et continuaient leur chemin ; il n’y avait ni vivats ni gestes. L’instinct de la race l’avait avertie que l’événement était au-dessus de toute expression extérieure. Comme une monstrueuse avalanche, la guerre était tombée en travers de la route de cette nation sensée et laborieuse, rompant ses habitudes, paralysant son industrie, démembrant ses familles et