Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/553

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais dans les cœurs de nos exilés est rentré un espoir. L’accueil suisse est un prélude : demain la France les attend !


Zurich, 7 heures 20 du matin. — On annonce l’arrivée d’un convoi. Encore cinq cents des nôtres. D’où nous viendront-ils, quel sera leur aspect ? Les membres du Comité de Zurich me racontent, chemin faisant, le long des quais, quelle est la composition ordinaire des convois, depuis quelques jours. Très différente de celle des premiers arrivans. Ceux-ci, encore plus lamentables, portaient sur eux l’ignominie de la détention en signes extérieurs.

« Kriegsgefangener, » avoir fait de ce mot « prisonnier de guerre » une infamie montrée au doigt ; de ces civils innocens, hommes et femmes, des apparences de forçats, voilà un raffinement de vraie kultur allemande… L’inscription Kriegsgefangener est marquée à la céruse sur les vêtemens des capturés, et cela en caractères si indélébiles qu’aucune essence n’en vient à bout. On conserve, dans certaines gares de Suisse, des vestes et des paletots qui portent cette marque. On m’en parle avec un frisson.

Dans certains camps, les commandans avaient même imaginé de stigmatiser les capturés en coupant une raie de cheveux aux hommes sur le côté de la tête : c’est le bagne ou l’étable. Ceci dit tout. Et la comparaison pourrait être poussée beaucoup plus loin.

Voici le train. Ici le service d’ordre, toujours mené par les officiers et soldats, est organisé avec une méthode qui fait honneur à la militarisation suisse. Devant le médecin, qui, avec son aide et quelques infirmières, passe la revue des wagons, marche un porte-fanion tenant dressé l’insigne des ambulances : la croix rouge. A mesure que, à l’intérieur des compartimens à couloir central, avance le docteur, le drapeau se place sur le quai, devant la voiture ainsi occupée. De la sorte, si le médecin est demandé d’urgence ailleurs, on sait tout de suite où le trouver. Il s’attarde peu aujourd’hui, il n’y a pas de grands malades. Quelques vieillards, quelques nourrices, sont seuls restés à leur place, trop fatigués pour descendre. A ceux-là on apporte dans les wagons le café au lait et le pain. Tous les autres vont prendre au restaurant de la gare leur petit déjeuner, et pendant