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aujourd’hui : c’est bien sa voisine de l’Ouest qu’elle voulait avant l’autre attaquer et anéantir. Pauvre France ! disaient avec une commisération hypocrite les journaux de Berlin, en reconnaissant que la conduite du gouvernement français, pendant toute la durée de la crise, avait été parfaitement correcte, et qu’il avait travaillé sans relâche à la conservation de la paix. Pendant que son gouvernement remplissait ainsi jusqu’au bout ce haut devoir d’humanité, la France donnait au monde un spectacle saisissant, celui d’une nation regardant sans émoi et sans crainte grandir d’heure en heure un péril qu’elle n’avait pas suscité, et, esclave de sa parole, froidement décidée à suivre le destin de son alliée sur les champs de bataille. Elle offrait en même temps à l’Allemagne, qui avait escompté follement son désarroi et ses dissensions politiques, l’image de tous ses enfans étroitement unis dans une résolution invincible, la défense de la patrie odieusement attaquée. Ce n’est pas la seule surprise qu’elle lui réservait ; sa résistance de granit allait bientôt transformer la lutte et faire échouer tous les calculs de la stratégie allemande.

Personne ne s’était employé plus énergiquement ni avec plus d’intelligence que le représentant de la République à Berlin à éteindre l’incendie allumé par l’Autriche et son alliée. « Ne trouvez-vous pas, me disait l’ambassadeur d’Angleterre dans le train qui nous emportait le 6 août, loin de la capitale allemande, que l’attitude de M. Cambon a été admirable ? Rien n’a pu altérer, pendant ces terribles journées, son sang-froid, sa présence d’esprit et sa perspicacité. » Je ne saurais mieux faire, pour exprimer ma propre admiration, que de répéter, ici, le jugement d’un diplomate aussi compétent que sir Ed. Goschen, qui a pris lui-même une part des plus actives à l’œuvre de salut européen, tentée en vain par les gouvernemens de la Triple-Entente.


VIII

La population de Berlin avait suivi avec un énorme intérêt, mais sans aucune apparence d’enthousiasme patriotique, le développement de la crise. Ces belles journées d’été s’étaient écoulées aussi paisibles qu’à l’ordinaire. Le soir seulement,