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velléités belliqueuses du gouvernement russe, si elles n’avaient pas balayé auparavant le trône des Romanow. .le répondrai que ce calcul machiavélique ne pouvait pas entrer dans l’esprit d’un prince aussi imbu que Guillaume II de la solidarité monarchique et pénétré d’une horreur instinctive des attentats anti-dynastiques et des révolutions.

Non, l’Empereur a voulu, avec les autorités militaires dont il prenait conseil, profiter de circonstances impatiemment attendues et que la fortune capricieuse pouvait fort bien ne plus offrir à son ambition. Tout le prouve, jusqu’à sa hâte fébrile, dès que la réponse de M. Sazonow lui eut été communiquée, de connaître les intentions de l’Angleterre et de lui proposer, le jour même, un marché pour acheter sa neutralité. C’est pourquoi M. de Bethmann-Hollweg a reçu l’ordre de convoquer dans la nuit du 29 l’ambassadeur britannique. L’Empereur n’avait pas la patience d’attendre jusqu’au lendemain, tant il était pressé d’agir. Cette précipitation est-elle le fait d’un homme qui a éprouvé une déception inattendue ? S’il ne désirait pas la guerre, n’aurait-il pas cherché à reprendre, avec la Russie, des négociations sur une base plus acceptable pour sa dignité de grande Puissance, quoi qu’il en pût coûter à son propre orgueil de n’avoir point réussi à l’intimider ?


VII

La tentative manquée d’intimidation à Saint-Pétersbourg et les offres faites à l’ambassadeur britannique, comme si l’inaction de la Grande-Bretagne avait été à l’enchère, eurent des effets qu’il n’était pas difficile de prévoir.

A Londres, l’indignation de sir Ed. Grey se répandit immédiatement dans la réponse télégraphiée, le 30 juillet, à sir Ed. Goschen : « Ce serait une honte pour nous, lui disait-il, de passer ce marché avec l’Allemagne aux dépens de la France, une honte de laquelle la bonne renommée de notre pays ne se relèverait pas. Le chancelier nous demande aussi en fait de soumettre à un marchandage toutes les obligations ou tous les intérêts que nous pourrions avoir à la neutralité de la Belgique. Nous ne pouvons pas non plus, en aucune façon, accepter cet autre marché. »