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expéditifs. Il n’y a là rien de surprenant, mais ils n’ont dû le faire qu’à regret et à contre-cœur. S’ils ont cru au succès de ce moyen sommaire de clore la discussion diplomatique, ils se sont trompés aussi grossièrement que le comte de Pourtalès, qui les avait mal renseignés sur la détermination du gouvernement du Tsar de ne pas sacrifier la Serbie. Cet honnête homme du moins, lorsqu’il reconnut les conséquences fatales de son erreur, ne fut pas maître de son émotion : sensibilité bien rare chez un Allemand et qui est toute à son honneur.

Mais l’Empereur et son conseil de généraux, quel était leur état d’âme en ce moment psychologique ? Qui le saura jamais exactement ? Dans l’intérêt militaire qui primait tous les autres à leurs yeux, ils devaient se réjouir de la réponse de M. Sazonow, car ils n’auraient jamais retrouvé une occasion aussi propice de vaincre la Russie et d’en finir avec elle. En 1917 la réorganisation de l’armée russe aurait été achevée, son parc d’artillerie au grand complet et un nouveau réseau de voies stratégiques lui aurait permis de jeter sur les deux Empires germaniques des flots de combattans fournis par une population inépuisable. La lutte avec le colosse du Nord, malgré la supériorité technique dont se targuait l’armée allemande, aurait été vraisemblablement le triomphe de la force. En 1917 aussi le service de trois ans, produisant tous ses effets, aurait donné à la France des troupes de première ligne plus nombreuses et mieux instruites.

Guillaume II ne pouvait pas, d’un autre côté, se faire illusion sur les suites de la pression qu’il exerçait pour la seconde fois à Saint-Pétersbourg. Eût-elle réussi en 1914 comme en 1909, le conflit entre l’Allemagne et le grand Empire slave n’eût été qu’ajourné, au lieu d’être définitivement écarté. Comment le Tsar, comment le peuple russe, auraient-ils pu pardonner au Kaiser une seconde humiliation ? S’ils l’avaient dévorée en silence, c’eût été pour attendre l’heure de la revanche et ils auraient choisi pour se venger le moment où la Russie, en possession de toutes ses ressources, aurait pu engager la partie avec toutes les chances de la gagner.

On m’objectera peut-être que l’Empereur allemand, croyant que dans la balance le poids de son épée l’aurait emporté sur les hésitations du Tsar, avait prévu la colère de la nation slave contre son souverain trop timoré et escompté les explosions révolutionnaires qui auraient paralysé pour longtemps les