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plaisirs avec les lourdes responsabilités du pouvoir. Sa grande, confiance était partagée par l’ambassadeur d’Allemagne, son conseiller le plus écouté. Il semble inadmissible pourtant que le ministre autrichien n’ait pas entrevu la possibilité d’un conflit avec l’empire slave ; mais, ayant l’Allemagne pour partenaire, son aplomb de beau joueur le poussait à tenir le coup.

A Berlin, l’opinion que la Russie était incapable de faire, face à une guerre européenne régnait non seulement dans le monde officiel et dans la société, mais chez tous les industriels, qui avaient la spécialité de la construction du matériel militaire. M. Krupp von Bohlen, le plus qualifié d’entre eux pour émettre un avis, proclamait le 28 juillet, à une table voisine de la mienne à l’hôtel Bristol, que l’artillerie russe n’était ni bonne, ni complète, tandis que celle de l’armée allemande n’avait jamais été d’une qualité aussi supérieure. Ce serait une folie de la part de la Russie, concluait le grand fabricant de canons, d’oser faire la guerre à l’Allemagne et à l’Autriche dans ces conditions.


V

Le corps diplomatique étranger était tenu dans une ignorance plus ou moins complète des pourparlers poursuivis depuis le 24 par l’Office impérial des Affaires étrangères avec les Cabinets de la Triple-Entente. Cependant, aux diplomates, qui venaîent constamment chercher des nouvelles à la Wilhelmstrasse, la crise était présentée sous un jour très favorable à l’Autriche et à l’Allemagne, pour influencer l’opinion des gouvernemens qu’ils représentaient. Dans un court entretien que j’avais eu le 20 avec M. de Stumm, directeur de la politique, il avait résumé ses explications par ces mots : « Tout dépend de la Russie. » J’aurais cru plutôt que tout dépendait de l’Autriche et de la façon dont elle exécuterait ses menaces à la Serbie.

Le lendemain, je fus reçu par M. Zimmermann, qui reprit le même thème, en le développant depuis l’origine du conflit.

« Ce n’est pas à notre instigation, me dit-il, ni d’après notre conseil, que l’Autriche a fait la démarche que vous savez auprès du Cabinet de Belgrade. La réponse n’a pas été satisfaisante, et aujourd’hui l’Autriche mobilise. Elle ne peut plus reculer sous peine>de déchéance à l’intérieur comme à l’extérieur de la