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« Ces questions troublantes, nous devons aussi nous les poser et nous tenir prêts aux pires éventualités, car le conflit européen dont on parlait toujours, en se flattant qu’il n’éclaterait jamais, devient aujourd’hui une réalité menaçante. »

Les pires éventualités étaient, dans ma pensée, la violation d’une partie de notre territoire et l’obligation pour nos soldats de disputer le passage aux belligérans. Pouvait-on espérer qu’avec les dimensions que prendraient les hostilités entre la France et l’Allemagne, la Belgique resterait à l’abri de toute atteinte de la part de l’armée allemande, de toute tentative d’utiliser pour le succès de son offensive quelques-unes de ses routes stratégiques ? Je n’osais pas me le figurer. Mais de là à une invasion complète de mon pays, préparée de longue main et exécutée avant le début de toute opération militaire, il y avait un abime, que ma raison ne jugeait pas le gouvernement impérial capable de franchir de gaieté de cœur, à cause des complications européennes qu’un mépris aussi inconsidéré des traités ne manquerait pas d’entraîner.


IV

L’idée d’une guerre préventive n’a pas cessé de s’imposer à mon esprit jusqu’à la fin de la crise. Mais d’autres chefs de mission, s’ils éprouvaient la même anxiété que moi relativement à son dénouement, n’étaient pas de mon avis sur la préméditation dont j’accusais l’Empereur et les chefs de l’armée. Je n’étais pas allé seulement interroger l’ambassadeur de France, dont le jugement sûr avait toujours beaucoup de poids à mes yeux. J’avais rendu visite aussi à son collègue d’Italie, très au courant de la politique allemande, diplomate avisé, qui me faisait songer à ces subtils agens des républiques italiennes du XVIe siècle.

D’après M. Bollati, le gouvernement allemand, d’accord en principe avec le Cabinet de Vienne sur la nécessité d’une punition à infliger à la Serbie, ne connaissait pas à l’avance les termes violens de la note autrichienne, inusités dans le langage des chancelleries. A Vienne comme à Berlin, on était persuadé que la Russie, malgré les assurances officielles échangées tout récemment entre le Tsar et M. Poincaré au sujet de la