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Cabinet de Vienne. Le prochain ultimatum à la Serbie lui était télégraphié directement par son ambassadeur, M. de Tschirsky, agent actif, partisan zélé d’une politique hostile à la Russie et qui, dès le premier moment, avait désiré la guerre[1]. La résolution de Guillaume II, si elle n’a pas déjà été prise à Kiel, fut arrêtée, sans doute, au cours de sa croisière. Son départ pour le Nord n’était qu’un leurre, un moyen de donner le change à l’Europe et à la Triple-Entente, en leur inspirant une sécurité exagérée. Tandis qu’on le croyait occupé à détendre ses nerfs et à réparer ses forces au souffle salin de l’Océan, il se réservait de reparaître inopinément sur le théâtre des événemens, afin de précipiter le dénouement de la tragédie, dont les premières scènes allaient se jouer en son absence.


III

Pendant ces premières semaines de juillet, nous n’avons pas vécu à Berlin, mes collègues et moi, dans une fausse tranquillité. A mesure que se prolongeait le calme trompeur causé par le silence du Cabinet de Vienne, nous éprouvions une sorte de malaise et de sourde inquiétude, mais nous étions loin de prévoir que, du jour au lendemain, nous serions jetés en pleine tourmente diplomatique où, après une semaine d’angoisses tragiques, nous assisterions, impuissans et muets, au naufrage de la paix et de nos suprêmes espérances.

L’ultimatum, remis sous forme de note le 23 juillet au Cabinet serbe par le baron de Giesl, ne nous fut révélé par la presse berlinoise que le lendemain dans son édition du matin. Ce nouveau coup de foudre dépassait ce que nos imaginations avaient conçu de plus alarmant. La secousse fut si inattendue que certains journaux déconcertés parurent trouver les imputations du Cabinet de Vienne excessives : « L’Autriche-Hongrie, disait la Gazette de Voss, aura à justifier les graves accusations qu’elle formule contre la Serbie et son gouvernement, en publiant les résultats de l’instruction judiciaire de Serajevo. »

Ma conviction, partagée par plusieurs de mes collègues, fut que les hommes d’État autrichiens et hongrois ne s’étaient pas

  1. Voir notamment les rapports 141 et 161 de sir M. de Bunsen à sir Ed. Grey (Great Britain and the european crisis).