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avertissement aux voyageurs imprudens qui, en traversant les eaux britanniques, s’exposeraient à y rencontrer des sous-marins : le crime n’en reste pas moins un crime, lorsqu’il a été prémédité et annoncé. Ainsi quinze cents malheureux dont aucun ne portait les armes, des femmes, de pauvres enfans, ont en quelques minutes péri dans les flots, victimes innocentes d’une guerre à laquelle ils étaient étrangers. Non seulement l’Allemagne ne trouve aucun inconvénient, mais elle éprouve un plaisir arrogant à provoquer de gaité de cœur contre elle des sentimens de réprobation et d’horreur. Ses journaux chantent joyeusement victoire. Il y a là vraiment une folie sadique qui relève de la pathologie plus que de la politique et qui fera l’étonnement de l’avenir. Nos ancêtres de l’âge de pierre ne connaissaient pas ce raffinement de sauvagerie.

On se demande ce que pensera l’Amérique, ou plutôt ce qu’elle dira ou fera, car il n’y a aucun doute sur le sentiment qu’elle éprouve : c’est le nôtre, c’est celui de tout le monde civilisé. Mais on attend quelque chose de M. Wilson. N’a-t-il pas, il y a déjà plusieurs semaines, donné lui aussi un avertissement à l’Allemagne ? Ne lui a-t-il pas dit que s’il était porté atteinte à la vie d’un seul Américain, « il serait difficile au gouvernement des États-Unis de considérer l’acte sous un autre jour qu’une violation indéfendable du droit des neutres… et qu’il se verrait contraint à tenir le gouvernement allemand pour strictement responsable ? » Depuis lors, plusieurs Américains sont morts sous les torpilles teutonnes et le nombre en a été singulièrement et atrocement accru par ce dernier attentat. Qu’en adviendra-t-il ? Un journal allemand disait naguère avec insolence que, l’Amérique ne pouvant rien contre son pays, il se souciait infiniment peu d’elle et de ses menaces impuissantes. C’était faire peu de cas de ces impondérables dont on a tant parlé, que personne n’a vues, mais dont tout le monde, un jour ou l’autre, a senti la mystérieuse et puissante influence. Il n’est pas probable que l’Amérique fasse la guerre à l’Allemagne ; mais, dégagée de quelques-uns des intérêts et de quelques-unes des passions qui agitent le vieux monde, elle représente une haute conscience morale dont le jugement a d’autant plus d’autorité qu’il est plus indépendant. Ce jugement, elle ne l’a pas encore exprimé, et le monde l’attend. M. Wilson a donné son opinion de juriste sur un certain nombre de cas qui se sont présentés et il l’a fait avec compétence et impartialité ; mais il s’est tu sur des faits d’un ordre plus général, sur la violation de la neutralité belge par exemple, et sur toutes les horreurs qui l’ont