Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/480

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’Allemagne avait pourtant usé contre elle d’un autre genre d’intimidation qui a consisté à provoquer un soulèvement en Libye : l’Italie, se voyant attaquée dans sa nouvelle colonie africaine et obligée de s’y défendre, renoncerait peut-être à des aventures européennes. Le travail de l’Allemagne en Tripolitaine n’est d’ailleurs pas un fait nouveau ; l’Italie savait déjà ce qu’elle devait en penser. La douane italienne n’a-t-elle pas arrêté, il y a quelques semaines, des barils de bière dont le contenu inspirait des soupçons ? On les a ouverts et quelle n’a pas été la surprise d’y trouver des fusils français envoyés en Libye ! Heureusement pour nous, aucun doute n’était possible sur leur provenance : elle était évidemment allemande ; mais, par un raffinement de perfidie où l’on reconnaît la manière germanique, l’envoi avait été composé de fusils français ramassés sur les champs de bataille ou enlevés à des prisonniers. Le but était de donner à croire aux Italiens que c’était la France qui pourvoyait d’armes les révoltés Libyens. Ils ont su dès ce moment ce que faisait l’Allemagne. Depuis, des troubles ont éclaté en Libye et sur certains points la répression en a été assez difficile. Une colonne italienne, trahie en cours de route par des élémens indigènes qui entraient dans sa composition et dès le premier coup de fusil sont passés à l’ennemi, a perdu beaucoup de monde et a dû battre en retraite. Les Allemands, dont la main apparaît si clairement en tout cela, ont cru effrayer l’Italie, la décourager, l’obliger à envoyer des troupes nombreuses en Afrique : une fois de plus ils se sont trompés. De médiocres incidens tripolitains ne sauraient détourner un grand pays de la grande politique. L’Italie paraît seulement devoir en profiter pour dénoncer le traité d’Ouchy et reprendre toute sa liberté à l’égard de la Turquie : on a trouvé en effet des uniformes turcs parmi les morts des derniers combats. L’Allemagne avait usé de son influence toute-puissante sur elle pour déterminer la Porte à fomenter et à diriger une agression contre l’Italie : cela ne l’empêchera pas de pousser des cris d’indignation contre la trahison italienne. Elle le fait déjà, et si on veut voir avec quel accent de haine et de mépris affecté, les échantillons suivans permettront d’en juger. La Deutsche Tageszeitung écrit : « Peuple allemand, un ennemi de plus ! Des cavernes des Abruzzes, des maquis de la Sicile et de la Sardaigne, des bois de la Calabre, des ruelles de Chiaia et de Margellina, une armée de vagabonds, de forbans et de joueurs de mandoline se prépare à marcher contre toi ! » La Frankfurter Zeitung parle à peine d’un autre ton. « Les Italiens, dit-elle, ont oublié que déjà leur neutralité