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Comme dans ces poèmes aussi, la valeur des héros n’en était pas diminuée, et elle méritait d’être chantée par M. Gabriele d’Annunzio. Cette journée du 5 mai a été grande et belle pour le poète. Il a été donné à peu d’hommes d’incarner, dans une heure sublime, la patrie tout entière ; avec les souvenirs du passé et les aspirations de l’avenir. M. d’Annunzio a connu, a goûté ce moment d’ivresse patriotique. Le merveilleux lyrisme de sa parole était en parfaite harmonie avec les sentimens les plus profonds de l’âme italienne. Nous avons dit que le Roi et le gouvernement étaient absens, mais cela n’est vrai que d’une vérité matérielle ; moralement, ils étaient là avec toute l’Italie. Il y a eu sans doute une déconvenue lorsque, à la veille de la fête, on a appris que la gravité des circonstances les retenait à Rome. On s’est demandé ce que cela signifiait. Un doute est même entré dans les esprits, pour en ressortir d’ailleurs aussitôt. La présence du Roi avait été formellement annoncée, elle était attendue, on ne voyait pas très bien d’où pouvait venir l’obstacle. Le Roi aurait-il appréhendé des mouvemens révolutionnaires ? Aurait-il craint que le discours de M. d’Annunzio ne résonnât comme une fanfare guerrière et qu’on ne fût en droit de le regarder au dehors comme une provocation ? Il n’en a rien été : le poète a su contenir dans une juste mesure les élans de son patriotisme, et n’a rien dit dont personne eût le droit de s’offenser. Au reste, le télégramme adressé par le roi Victor-Emmanuel au maire de Gênes a montré qu’aucune de ces craintes n’était entrée dans l’âme du souverain. La Révolution même ne l’effrayait pas, car il a fait à Mazzini une allusion que tout le monde a remarquée. « Si des préoccupations gouvernementales, a-t-il dit, changeant mon désir en regret, m’empêchent de prendre part à la cérémonie qu’on célèbre à Gênes, ma pensée ne s’éloigne cependant pas aujourd’hui du rocher de Quarto. J’envoie mon salut ému à cette rive célèbre de la mer de Ligurie où est né celui qui préconisa le premier l’unité de la patrie, et d’où partit le capitaine des Mille avec une hardiesse immortelle vers un sort immortel. Et avec la même ferveur, la même chaleur de sentiment qui guida mon grand aïeul, je tire de la concorde qui préside à la consécration de la mémoire des Mille la confiance dans l’avenir glorieux de l’Italie. » Le poète a parlé en poète et le Roi en homme politique et en chef d’État.

La fête s’est déroulée dans un des plus beaux décors qui soient au monde, sous un ciel lumineux, au bord de cette mer où tant de grandes choses se sont accomplies. Comment tous les esprits n’en auraient-ils pas été enfiévrés ? Mais, pendant ce temps, des