Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’intituler Colette Baudoche ou l’Allemand ridicule. M. Asmus est encore l’Allemand bonasse, brave homme, obligeant, complaisant, serviable et le cœur sur la main. Il gronde les mauvais maris, fait travailler les petits enfans, épouse les demoiselles pauvres : il est charmant. Nous savons maintenant, — puisque nous avions commis la faute de l’oublier, — à quoi nous en tenir sur cette bonhomie allemande. Elle se concilie parfaitement avec la fourberie naturelle, l’instinct de la ruse et du mensonge, et tout ce qu’il faut pour l’espionnage. Elle est compatible, chez le plus humble, avec un orgueil, — non de caste, ni d’individu, mais dépeuple — entretenu par une doctrine d’État. Surtout, elle recouvre une férocité foncière, trait de race qui a traversé les siècles et se retrouve chez l’honnête comptable et chez le laborieux érudit d’aujourd’hui tel qu’il était chez le barbare d’autrefois. Il aurait fallu nous faire sentir chez le candide professeur l’intraitable ennemi, qui, à sa façon, continue la conquête et achève l’œuvre de l’annexion. A de certains momens, par un mot, par un geste, en de brusques échappées, il aurait fallu nous faire entrevoir l’être de proie. À cette condition, le rôle pouvait subsister tel qu’il est, mais avec des dessous, des arrière-pensées et des arrière-plans qui lui manquent. Cette nécessité d’introduire dans le rôle des notes sombres, tragiques, M. Pierre Frondaie s’en est avisé et s’y est essayé : il n’est que juste de le reconnaître. Il a donné en ce sens quelques indications, mais trop discrètes : on aurait souhaité des touches plus vigoureuses, plus âpres, qui, sans changer le personnage, auraient changé l’impression qu’il produit et l’auraient mis plus en accord avec les sentimens qui emplissent tous les cœurs français.

Pour faire passer le rôle de M. Asmus, il ne fallait pas moins que l’autorité et l’adresse de M. de Féraudy. L’excellent comédien l’a joué résolument en comique : c’est le fort et le faible de son interprétation. M. Paul Mounet s’est fait applaudir pour quelques tirades lancées avec une indignation généreuse. Mlle Marie Leconte est une petite Messine charmante de grâce et d’espièglerie. Mme Pierson a exagéré le côté larmoyant du rôle de Mme Baudoche.


RENE DOUMIC.