pensée de nos ancêtres, que nous sentons au fond de nous, elle est pareillement autour de nous, dans la région qu’ils ont habitée, dont ils ont subi l’influence et qu’ils ont aménagée à leur gré, dont ils ont reflété l’image et qui s’est modifiée à leur ressemblance. Toute contrée à une âme, celle des générations qui s’y sont succédé et avec laquelle les générations qui viennent entrent en communion. Ce qui fortifie cette communion est sain et profitable, ce qui l’altère est une faiblesse et une diminution. « Nous sommes les prolongemens de nos parens. Pour fortifier notre personnalité, il faut nous placer dans une suite et nous tenir liés à ceux de qui nous avons hérité. Il importe à notre santé morale que nous laissions les concepts fondamentaux de nos morts parler en nous. Comment mieux les entendre que si nous maintenons les conditions de vie où ils se développèrent eux-mêmes ? » La pensée de nos morts inscrite dans les replis de la terre où ils donnent, voilà sur quoi fonder une civilisation, une morale, une politique.
Cette doctrine, M. Maurice Barrès devait, de toute nécessité, en faire un jour l’application à une contrée déterminée. Lorrain, né sur la frontière franco-allemande, hanté par ce souvenir de l’invasion qu’il avait vue de ses yeux d’enfant, tout le ramenait vers cette « marche » que les populations d’outre-Rhin ont envahie vingt-huit fois, où se livre éternellement la guerre entre la France et- l’Allemagne, entre la tradition latine et la tradition germanique. Toute son œuvre convergeait vers les « Bastions de l’Est. » Le premier des deux volumes publiés dans cette série, Au service de l’Allemagne, aborde, avec une gravité douloureuse, la question d’Alsace-Lorraine, telle qu’elle se posait pendant les années qui ont précédé la guerre. On sait à quelle solution s’était rangé l’auteur des Oberlé. Jean Oberlé, plutôt que de servir dans l’armée allemande, avait déserté. M. Ehrmann prend le parti opposé. Il entre à la caserne ; il devient le volontaire Ehrmann ; il se soumet à la mentalité allemande, faite de servilité avec les supérieurs et d’arrogance avec les inférieurs ; il souffre ce martyre de tous les instans : être fils de Français, et servir l’Allemagne. Mais c’est qu’imbu des théories de M. Barrès, il n’a pas voulu se « déraciner. » Il croit à la nécessité de ne pas briser le lien qui le rattache à la terre où il est né et où il communie avec ses morts. Il veut être un « héros » alsacien, c’est-à-dire « un homme plein de sa terre et de sa race. » Il pense que le devoir d’un Alsacien est en Alsace, pour y continuer la tradition des ancêtres, pour y maintenir le sang alsacien et par suite la culture française. Ailleurs, que feraît-il sinon de