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mois d’octobre 1944, il avouait que l’avortement des premières tentatives allemandes contre Varsovie avait exercé une influence décisive sur la marche ultérieure des opérations. « Le moral des soldats russes s’en est rehaussé de cent pour cent, et à jamais se sont dissipées les appréhensions qu’ils pouvaient avoir touchant leur aptitude à supporter le choc des légions ennemies. Fini désormais l’énorme prestige dont jouissaient, dans l’opinion russe, les soldats du Kaiser ; et sans doute les Allemands, de leur côté, ont dû découvrir à présent combien on les avait mal informés des ressources véritables d’un adversaire qu’on leur avait décrit comme une proie facile entre toutes. »

Sur ce dernier point, cependant, M. Washburn se trompait, faute pour lui de connaître l’incroyable mélange d’obéissance et de crédulité qui réside au fond de toute âme allemande. Ses lettres des mois suivans nous apprennent, en effet, que le maréchal von Hindenburg et ses acolytes n’ont pas eu de peine à rassurer les combattans du « front oriental » sur leurs chances d’un prochain écrasement de l’armée « barbare. » Le 2 novembre, à Radom, le correspondant du Times s’est entretenu avec deux prisonniers allemands « des plus intelligens, » deux réservistes dont l’un avait été charpentier dans un village, tandis que l’autre avait tenu un petit commerce dans un faubourg de Berlin. Et comme il leur demandait ce que les troupes allemandes pensaient de la guerre : « Oh ! là-dessus aucun doute n’est possible ! — s’est écrié le commerçant. — C’est nous qui, en fin de compte, remporterons la victoire. Car vous savez, naturellement, que la France se trouve déjà presque totalement anéantie : il ne nous reste plus à battre que les Russes, et l’on nous a bien prévenus que cela demanderait encore quelque temps. » M. Washburn lui a demandé s’il savait, de son côté, la collaboration des troupes anglaises avec l’armée française, sur le « front occidental. » Non ; de cela leurs chefs avaient négligé de « prévenir » les deux réservistes ; et le journaliste américain nous assure que sa révélation les a « fort, déprimés. » Mais toujours est-il que, jusqu’au moment de cette révélation, leur confiance était absolue dans le triomphe final de leur cause ; sans compter que, longtemps encore après cet entretien, M. Washburn a retrouvé la même confiance chez la plupart des prisonniers allemands qu’il a questionnés, — sauf pour lui à rencontrer, au contraire, une « dépression » profondément « pessimiste » chez la majorité des prisonniers autrichiens.

Et le plus curieux est qu’avec cette docilité « unanime » qui a toujours caractérisé la race allemande, tous les prisonniers rencontrés