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notes furtives d’un couplet innocent, l’autre, l’autre surtout, « dans les soupirs divins » de cette mélodie à la fois inquiète et charmée : « Je crains de lui parler la nuit. » On sait quelle est, par endroits, la puissance musicale et dramatique de Richard, l’émouvante, la poignante beauté de la célèbre romance, qui contient en germe l’avenir du leitmotif wagnérien. Telle ou telle page, mainte et mainte phrase du roi captif ou de son fidèle écuyer porte en quelque sorte à sa cime une lueur étrange et qui découvre de vastes perspectives. Ah ! que M. Bazin a raison, et comme, en notre pays de France, dans son génie et dans ses chants, douceur n’est pas faiblesse ! Rappelez-vous avec quelle énergie se pose et se développe l’air célèbre de Blondel : « O Richard, ô mon roi ! » L’air du roi lui-même : « Si l’univers entier m’oublie ! » avec non moins de force, a plus de majesté. A la fin, quand viennent ces mots : « O souvenir de ma puissance !  » le personnage se hausse à la taille des plus grands. Il ressemble, un instant, à l’Othello de Shakspeare et de Verdi. C’est assez d’un lointain martial appel pour évoquer des visions de guerre, et les drapeaux déployés, toute cette gloire enfin que pleure désespérément le More et qu’un autre héros salue ici de plus discrets mais de non moins nobles adieux.

Le charme de Richard est composé d’élémens bien divers. Le chef-d’œuvre de Grétry, qui date de l’année 1784, nous apparaît, dans notre musique française, comme le dernier chef-d’œuvre d’autrefois. L’histoire l’a voilé de mélancolie. « O Richard, ô mon roi ! » chantaient les gardes du corps en l’honneur d’un monarque qui bientôt allait être, lui aussi, prisonnier. Il ne savait pas qu’il languirait pareillement « dans une tour obscure, » et que nulle voix fidèle ne viendrait redire sous sa fenêtre la romance libératrice. Mais ce n’est pas tout. Vestige touchant des jours qui ne sont plus, Richard Cœur-de-Lion, repris à l’Opéra-Comique, recevrait des jours où nous sommes un renouveau d’émouvante beauté. Nous ne saurions trop souhaiter, solliciter cette reprise du chef-d’œuvre franco-belge. « O Richard, ô mon roi ! L’univers t’abandonne, » chanterait Blondel. Mais le roi dont le nom chanterait dans tous les cœurs s’appelle d’un autre nom, et l’univers n’a point abandonné Albert de Belgique, parce que lui-même, le premier, il a secouru et sauvé l’univers.

Parmi les musiciens de la douce France, en est-il un plus Français et plus doux que Boieldieu ? Les Allemands du moins ne s’y sont jamais trompés : depuis Wéber, admirateur passionné du maître de Rouen, jusqu’à Hanslick, le célèbre critique viennois, qui regardait, j’allais