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misère est à peu près toujours la même. Et les indigens, ce sont les prolétaires, c’est-à-dire des individus qui, d’après l’étymologie même du mot, ne redoutent pas une nombreuse postérité.

Quant au petit propriétaire ou au bourgeois aisé, il ne peut pas admettre que ses enfans soient vêtus de loques, ou nourris d’une soupe grossière, ou privés de toute éducation. Et alors, ce n’est pas 200 francs, c’est 400 francs par an que va coûter un enfant pendant vingt ans. Au lieu de disperser cette forte somme d’argent sur une troupe de bambins, mal vêtus et mal nourris, ne vaut-il pas mieux la capitaliser, pour qu’elle grossisse l’héritage des deux ou trois enfans qu’on a déjà ?

Finalement, qu’ils soient pauvres, aisés, ou riches, ni les uns ni les autres ne consentent à voir augmenter, tous les deux ans, grâce à l’enfant qui arrive, les dépenses familiales, de manière à diminuer l’héritage qui doit, après la mort des pro-géniteurs, échoir aux enfans déjà nés. « Nous ne voulons pas, disent tous les pères de famille, créer des indigens. » Quel que soit l’état de leur fortune, tous tiennent le même langage. Le père de famille qui a 20 000 francs de revenu s’indigne en pensant que ses enfans, s’il en a dix, seront dix fois moins riches que lui. Le petit employé, le modeste fonctionnaire, qui vit tant bien que mal avec 3 000 francs de revenu, crie qu’il serait réduit à la mendicité, s’il était forcé d’héberger et d’alimenter dix enfans.

Avec tous ces excellens raisonnemens, cette sage prévoyance, cette habile économie, la natalité baisse de plus en plus, et la France s’abîme dans la déchéance.

Voilà pourquoi, si nous ne voulons pas que notre patrie périsse tout à fait, il faut faire en sorte que la naissance d’un enfant ne soit pas un appauvrissement.

C’est offrir aux familles des avantages illusoires, lesquels d’ailleurs ne font illusion à personne, que de leur dire : « Vous paierez moins d’impôts que les célibataires ; vous aurez plus de facilités pour être fonctionnaires de l’Etat. » Les ménages calculent trop bien, pour se laisser duper par ces minces, très minces avantages.

Seule, une mesure radicale et hardie peut enrayer la chute. Et cette mesure est très simple. Il faut à chaque naissance attribuer au nouveau-né, c’est-à-dire à ses parens, une somme qui