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égard, avait tout ce qu’il fallait pour triompher, et si son œuvre manquait de philhellénisme, elle était, en revanche, comme on l’a dit, pleine d’atticisme. Et il n’en fallut pas davantage pour provoquer le sourire des bons juges et des autres ensuite. Aussi la partie fut-elle vite acquise.

Maigre sa verdeur et sa partialité par endroits, le pamphlet d’About demeura et convainquit même la Grèce, puisqu’elle ne tarda pas à se débarrasser d’Othon et de ses Bavarois. En France, on en goûta surtout la verve drue, la malice, l’ironie, qui, sans diminuer le fond des qualités helléniques, savaient en montrer les ridicules et les faiblesses. About eut son succès, franc, vif, incontestable. Aussi ne quitta-t-il pas de sitôt la Grèce et les Grecs. Après une excursion en Italie, About revint au pays de ses débuts littéraires, pour y prendre le sujet d’une aventure romanesque, imaginée pour la plus large part, mais plus vraie que si elle avait été véritable. Le Roi des montagnes était un épisode du brigandage grec, assez bien observé pour montrer combien le mal était profond, assez plaisant pour faire sentir combien le remède était aisé à appliquer. On se plut beaucoup encore aux péripéties de l’histoire du vieil Hadji-Stavros, cruel et débonnaire à la fois. Vrai brigand d’opéra-comique, il s’en fût fallu de peu pour en faire un nouveau Fra Diavolo. About n’y consentit pas alors, et c’est seulement dans ces derniers temps qu’on a mis en musique les exploits d’Hadji-Stavros, leur donnant ainsi un regain de succès. Plus vivant dans le roman qu’à la scène, cet homme étrange semble ainsi une sorte d’ancêtre de Tartarin, au moins par la façon dont ses gestes sont rendus, mélange tous les deux de fantaisie et de réalité refondues dans des personnages agissons et vigoureux. Au contraire, l’action de la Grèce contemporaine se faisait plutôt sentir au théâtre, dans un genre dont le Français fut toujours friand, l’opérette, et l’opérette à sujet antique modernisé : l’existence de la Belle Hélène doit à coup sûr quelque chose à la verve d’About. Celui-ci avait une fortune trop rapide et trop brillante pour qu’on n’essayât pas de lui faire payer ces faveurs : Mais le dernier mot devait lui rester, et, par la verve comme par la crânerie, il allait bientôt imposer, ici comme là, un nom qu’il devait faire l’un des plus populaires de son temps.


PAUL BONNEFON.