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indolence et le contraindre à écrire une longue réponse. Elle date du 5 octobre 1852. La voici :

« C’est fort aimable à vous, mon cher Garnier, de vous souvenir encore de cet affreux pays d’Athènes et de ses maussades habitans. Et, ce qui n’est pas moins beau de votre part, ce sont les efforts héroïques que vous avez faits pour écrire une lettre lisible. Si les prix de vertu n’étaient pas distribués depuis un mois, je vous recommanderais à M. Ancelot. Vous m’avez fait un plaisir si grand, et si inespéré, que je m’empresse de vous répondre courrier par courrier, contrairement à toutes mes habitudes.

« Vous êtes bien heureux de vivre en pays civilisé et d’avoir à qui parler. Je comprends que la Grèce ne vous ait pas plu : pour s’y trouver bien, il faut être ours, ou le devenir. J’ai passé presque tout l’été à Athènes, un bien long et bien triste été. J’allais passer mes soirées à l’ambassade très régulièrement : j’étais devenu un meuble de la maison. Vous savez peut-être que le petit de Cazaux est parti, assez mal avec M. et Mme Rouen, qu’il a offensés sans le vouloir. Les attachés sont maintenant M. de La Tour du Pin, qui a beaucoup de monde et pas mal d’esprit, quoi qu’on die, mais ce n’est pas un garçon fondant ; l’autre est M. de La Valette, un grand bon enfant qu’on scie de toutes les manières, sous prétexte qu’il achète lui-même son sucre et sa bougie, et qu’il fait reluire ses souliers avec les basques de son habit. Mme Rouen est toujours ce que vous l’avez connue, bonne femme pour ceux qu’elle aime, et femme d’esprit pour tout le monde. Elle a passé l’été à soupirer après la France, et, maintenant, il est fort probable qu’elle passera l’hiver dans le même exercice. Ils ont cependant leur congé, mais ils n’en profitent pas : je ne sais pourquoi ; c’est de la haute politique.

« Toutes vos autres connaissances d’Athènes se portent à merveille ; je ferai vos commissions quand je pourrai sortir. En ce moment, j’ai une patte foulée : encore une chute de cheval : vous savez que c’est ma spécialité. Notre maison n’a pas mal l’air d’un hôpital. Le petit Guérin est allé à Constantinople, à Troie, à Smyrne, à Beyrouth, à Jérusalem, au diable enfin. Son voyage a duré trois mois et il ne fait que de rentrer à la maison. Vous connaissez ses qualités d’homme de ménage : il est parvenu à ne dépenser que neuf cents francs en trois mois, ce qui est