Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.

22 juin 1787 qui organisait des Assemblées provinciales partout où il n’existait pas d’États, on engloba pêle-mêle dans ces nouvelles subdivisions territoriales tout ce qui faisait partie d’un même ensemble géographique. C’était faire table rase de tout le chaos féodal et impérial. Il en fut de même quand furent créés les bailliages électoraux pour les États Généraux : on groupa les districts deux par deux. Les vieilles divisions, à partir de ce moment, apparaissent à tous comme des survivances sans objet, et les réclamations des princes possessionnés tombent dans le vide. L’œuvre d’unification de l’Alsace, ainsi accomplie comme par prétention, s’affirmera et se complétera pour le reste en même temps que l’unité française, de la nuit du 4 août à la Fête de la Fédération. L’Alsace unifiée entrait librement et joyeusement dans l’unité française. « Au sein de l’unité française, écrit M. Ch. Pfister, l’unité alsacienne s’était faite. »

L’Alsace avait terminé son évolution, l’Alsace était française, non plus par un traité, mais de sa libre volonté. Elle était française, sans avoir été francisée au sens brutal du mot. L’Alsace n’était pas assimilée ; elle ne cessait pas d’être alsacienne, elle l’était même plus que jamais, et n’avait ni à s’en cacher, ni à s’en excuser. Elle n’était francisée que dans la mesure, — d’ailleurs extensible, — où il était nécessaire et suffisant qu’elle le fût pour se sentir pleinement française. L’Alsace gardait sa physionomie : ce n’est pas l’écorce, c’est le cœur qui a pris les couleurs françaises. « Ils parlent en allemand, mais ils sabrent en français », disait Napoléon.


Tel est le terme de ce long enfantement de l’Alsace française, œuvre patiente du temps, de l’esprit de race, de bienfaits qui n’exigent pas la reconnaissance comme un dû, de la communauté d’aspirations vers un idéal de justice et de liberté. En dégageant l’Alsace de son féodal maillot d’arlequin, la France lui a permis de courir à ses destinées. Malheureusement, le cours des destinées normales de l’Alsace a été interrompu par un retour offensif de l’ennemi séculaire. Une fois de plus, la barrière du Rhin a été forcée, et notre marche frontière violentée par l’envahisseur. En dépit de l’union persistante des cœurs et des esprits, les deux lèvres de la déchirure, après quarante-quatre ans, ont besoin d’être rapprochées par des mains