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recommencer à voyager à travers la Grèce : quand il eut retrouvé la compagnie de ses amis, il ne voulut plus les quitter et s’embarqua avec eux pour parcourir le Péloponèse. Il se proposait même de tenir encore un journal de cette route nouvelle. Mais les loisirs y abondèrent moins qu’à Egine, et le voyageur ne poussa pas plus loin ce projet, dont voici à la fois les premières et les dernières pages.

« Kalamaki, 2 mai. — Le café pris, ce matin, nous sommes partis avant cinq heures de Mégare en jetant un dernier coup d’œil à ce pays si pittoresque. Notre caravane, augmentée de deux gendarmes, se composait alors de sept bêtes et de sept gens. Le commencement du chemin est assez facile ; mais arrivé aux roches Skironiennes, il a fallu quitter nos montures et aller à pied. Le sentier est trop dangereux pour le faire à cheval, une espèce d’escalier taillé quasiment dans la roche, quelquefois à cinq cents pieds au-dessus de la mer, quelquefois dans la mer même, mais tout cela de deux pieds au plus de largeur : en haut, on a le vertige, en bas les vagues vous éclaboussent, quand la mer est un peu forte. Le chemin est même interrompu par les eaux et il nous a fallu passer deux fois dans la mer pour le retrouver. A notre droite, nous passons près d’un grand rocher conique de plus de deux cents pieds de haut, tout lisse et presque à pic ; ça me rappelait la montagne d’ivoire de je ne sais plus quel conte. J’étais un peu en arrière de la caravane ; tout heureux de ce que je voyais, je me laissais aller à ce plaisir, nouveau pour moi, de voyager à cheval ; je suis tout surpris de me trouver vis-à-vis de deux Grecs déguenillés et à cheval, avec fusils, sabres, pistolets, tout un arsenal de guerre. Sont-ce là les brigands dont on parle ? Pourquoi nos gendarmes les ont-ils laissés passer ? Les Grecs s’arrêtent, j’en fais autant, et ils me demandent fort brusquement du tabac. Je comprenais ce mot et m’empressai de leur fourrer la plus grande partie du contenu de ma blague, m’estimant fort heureux de ce que mes voleurs se contentent de si peu. Je rejoins ensuite mes compagnons, qui m’assurent que mes brigands étaient tout simplement des gendarmes. Il fallait donc le dire. Ça n’empêche pas, gendarmes tant qu’on voudra je crois bien qu’ils cumulaient.

« La route continue, moitié à pied, moitié à cheval, tantôt, grimpant et tantôt descendant, et nous passons enfin les roches