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« Enfin, après deux heures de compagnie, l’équipage est parti et me laissa tranquillement regarder et admirer mon temple. Je suis enchanté de mon travail, il est du plus haut intérêt, mais il y a beaucoup de besogne, et, malgré mon désir de ne pas flâner, je crois en avoir pour un mois de relevés.

« La vue que l’on a du temple est tout simplement superbe. Salamine, Kleusis, Athènes, la pointe de Sunium et l’île de Saint-Georges, tout cela forme un panorama magique, éclairé comme il l’est aujourd’hui par un beau soleil. C’est quand on voit d’aussi belles choses qu’on voudrait être entouré de tout ce que l’on aime pour faire partager à tous son plaisir et son enthousiasme.

« À cinq heures, brûlant d’être seul, je renvoie About et Constantin à la case pour préparer le dîner, et pendant une demi-heure, unique possesseur de ma ruine, je l’interroge sur chaque face, je la caresse du regard. Elle est à moi, à moi seul. Je vais passer la de bienheureux instans, je rêve découvertes et succès, je me laisse empoigner par l’archéologie, cette science contestable qui fait tant de victimes et que l’on vient à aimer avec passion. Je m’arrache à regret à ma contemplation, à mes rêveries, et je pars pour retrouver mes compagnons ; mais la route à peine indiquée se dérobe, je me perds, j’escalade roches et roches, je traverse des bois de sapins, des pousses de cactus et me trouve seul et perdu au milieu de cette grande nature. Il y avait là une sensation bizarre, une espèce de frayeur de me voir ainsi isolé, une espèce d’orgueil de me trouver ainsi le maître du sol. Un silence profond, une mer superbe à ma droite, un ciel tout rouge qui s’assombrit bientôt et partout un chemin inconnu. Je fumai bien des pipes en pensant à l’existence bizarre et sauvage que je me proposais ; je regardai ces buissons de lentisques et ces bouquets de pins qui me cachaient le chemin et m’entouraient de toutes parts en me demandant si je ne m’étais pas trop fourvoyé ; enfin, après près d’une heure d’escalades, de marches et de contremarches, arrivé au haut d’une colline découverte, j’aperçus au loin mon gîte. Il me fut alors facile de me diriger, et bien que me faisant un chemin moi-même, un chemin au milieu des pierres et des ronces, j’arrivai tout haletant à la cahute, attendu avec impatience par About, qui, n’ayant pas de temple à dessiner, se sentait un fort bel appétit.