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d’heureuses inspirations dans les littératures russe et anglaise. Des échanges féconds, — et, comme on sait, ce ne seront pas les premiers, — s’établiront entre ces trois peuples qui, s’ils savent rester unis, seront demain les arbitres souverains du monde. Tout compte fait, si les littératures « alliées » tiennent à l’avenir dans nos préoccupations la place qu’y occupait naguère la littérature allemande, le mal ne sera pas grand ; et même, y aura-t-il quelque mal ?

Mais, quels que soient les emprunts que nos écrivains fassent aux littératures étrangères, ils sauront se les convertir « en sang et en nourriture ; » ils n’en retiendront que ce qui sera assimilable à notre génie national ; et, conformément à ce qui a été la tradition constante, la mission propre de notre littérature, et la formule même ou la définition de notre classicisme, ils se donneront pour tâche d’humaniser ce qu’ils puiseront à d’autres sources. Adoucir, épurer, clarifier, rendre vrais surtout et ramener à l’humaine nature leurs modèles espagnols ou grecs, n’est-ce pas en procédant ainsi que Corneille a composé le Cid, Racine Andromaque, et Molière Don Juan ? D’autres littératures ont été plus poétiques que la nôtre, d’autres plus philosophiques, d’autres plus mystiques, d’autres plus artistes ; aucune n’aura été plus humaine. Quand un instinct secret ne nous avertirait pas de persévérer dans cette voie, la guerre que nous subissons nous en ferait un devoir. Car cette guerre est pour nous, Français, plus qu’une guerre nationale : c’est une croisade. Nous combattons pour l’indépendance de notre sol, c’est entendu ; nous combattons aussi pour la liberté du monde. De cela, il n’est pas jusqu’au plus humble de nos soldats qui n’ait obscurément conscience. Il y aurait moins d’héroïsme dans nos armées, moins d’endurance et moins d’union, si la cause de la France n’était pas en même temps celle de l’humanité.


VICTOR GIRAUD,