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mise elle-même, de gaîté de cœur, au ban des nations civilisées, et presque de l’humanité même. Elle commence à s’en apercevoir ; elle s’en apercevra de plus en plus. Après avoir trop subi, et trop longtemps, le lourd prestige des réelles qualités de l’Allemagne victorieuse, et plus encore de ses bluffs, la France, cela est à prévoir, ne voudra plus rien savoir d’un peuple qui s’est déshonoré par des crimes dont l’horreur nous fait remonter aux pires époques de l’histoire. Elle voudra ne rien lui devoir, même au point de vue intellectuel. Elle le.mettra, ou peu s’en faut, à l’index. Déjà l’on nous annonce que les enfans des collèges se détournent en masse de l’enseignement de l’allemand. Il y aura là, — est-il besoin de le dire ? — un excès, et un excès fâcheux, après un autre tout contraire : il faut tout connaître, même, et peut-être surtout ses ennemis. Mais enfin, et puisque, aussi bien, le fait sera là, et que nous n’y pourrons pas grand’chose, il faut bien avouer que, si, en philosophie et en musique, par exemple, l’ignorance de l’Allemagne peut constituer, pour un Français du XXe siècle, une regrettable et fâcheuse lacune, il n’en va pas de même en littérature. A la prendre dans son ensemble, la littérature allemande est infiniment moins originale, moins riche, et, pour nous Français, moins féconde, moins éducative que la littérature anglaise, la littérature italienne ou la littérature espagnole. A trop pratiquer les Allemands, nous risquerions d’altérer notre génie propre ; à les ignorer, nous ne perdrons probablement rien d’essentiel.

Se détacher de l’Allemagne, ce sera en même temps se rapprocher des nations alliées. Que des rapports fréquens, et de plus en plus étroits, s’établissent désormais entre nous et la Russie, et surtout, — à cause du voisinage, — avec l’Angleterre, c’est ce qui me paraît l’évidence même. Rien n’unit les peuples comme d’avoir versé leur sang côte à côte, pour une même cause générale, sur les mêmes champs de bataille. Soyons assurés que la guerre européenne aura plus fait, pour hâter la construction du tunnel sous la Manche, que dix années de négociations diplomatiques et de conférences commerciales ou parlementaires. Les relations économiques seront vite doublées de relations intellectuelles et littéraires. Je crois que l’Angleterre et la Russie auront tout intérêt à mieux connaître la France ; mais je crois aussi que la France pourra puiser