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Il se peut aussi, et pour les mêmes raisons, que, parallèlement à la renaissance de l’épopée, nous assistions à la renaissance de la tragédie. La tragédie, comme l’épopée, est le genre par excellence des grandes époques militaires. Ce sont les guerres de la fin du XVIe et du XVIIe siècle qui ont fait naître tant de poèmes épiques mort-nés et tant de beaux poèmes tragiques. Corneille et Racine, — et qu’importe qu’ils n’en aient pas eu conscience ? — ont chanté, en les transportant dans l’antiquité gréco-latine, les exploits des grands hommes de guerre, leurs contemporains. C’est Condé, c’est Turenne qui ont été leur « modèle idéal, » qui ont donné le ton à leurs œuvres et à leur public. Il va d’ailleurs sans dire que, si nous voyons renaître la tragédie, elle ne sera point calquée sur la tragédie classique, pas plus qu’elle ne le sera sur le drame romantique. Mais si la peinture « artialisée » de fortes passions ou de hauts sentimens, de caractères énergiques et profonds de douloureuses destinées, si la fidèle et sobre représentation d’une violente crise morale sont peut-être les élémens nécessaires et suffisans d’une tragédie véritable, ce n’est point la matière, ce ne sont pas les héros, ni les sujets, — ni le public, — qui manqueront désormais à nos auteurs dramatiques. Il y aurait peut-être, dans cette voie, à chercher et à trouver la formule d’un drame nouveau, d’un drame vraiment moderne, qui pourrait être, — toutes proportions gardées, — pour les générations nouvelles, l’équivalent de ce qu’a été la tragédie classique pour nos pères.

Plus sûrement encore, croyons-nous, le genre du roman va sortir transformé et rajeuni de la crise que nous traversons. D’abord, et comme le théâtre lui-même, en ce qui concerne ses sujets. Il évitera de les emprunter perpétuellement à la chronique galante. L’article « roman parisien » va très probablement disparaître à jamais de la circulation. Nous ne le regretterons pas : comme il était lu à l’étranger bien plus encore qu’en France, il a desservi notre cause au dehors plus qu’on ne saurait le dire. C’est dans nos « romans parisiens » que les Allemands se sont formé l’image, truculente et grotesque, de la « Babylone moderne, » cette Babylone qu’ils vouaient à l’exécration, et où ils auraient été d’ailleurs si heureux de pénétrer pour y assouvir leurs très morales convoitises. Il y a tant de choses dans le monde, et à Paris même, qui sont plus