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qui ne pourra manquer de se refléter dans la littérature. On reconnaîtra d’ailleurs que la religion, si elle n’a évidemment pas la beauté pour objet, n’est pourtant pas une mauvaise inspiratrice de beauté. Est-ce que les plus grandes, les plus belles œuvres de notre littérature ne sont pas précisément celles qui sont comme consacrées à la glorification de l’idée religieuse ? — Religion, morale, esprit de solidarité, goût de l’action, patriotisme, toute notre histoire littéraire en témoigne, ceux de nos écrivains qui ont largement puisé à ces nobles sources d’inspiration n’ont jamais eu, — même littérairement, — à s’en repentir.


III

Est-il possible de prévoir ou de pressentir dès aujourd’hui quelle sera, dans la littérature de demain, l’orientation des principaux genres ? On peut au moins émettre à cet égard quelques conjectures, dont la généralité même garantira la modestie.

Et d’abord, je crois bien que nous allons assister à un riche renouveau de lyrisme. La vie intense que nous avons tous vécue depuis neuf mois, que nous allons vivre encore, a exalté toutes les puissances, et, si je puis dire, a tendu toutes les cordes de notre âme. Quel est celui d’entre nous qui ne s’est pas surpris, quand il parlait de la guerre, soit dans une lettre intime, soit même dans une conversation familière, à élever le ton, à mettre dans ses paroles une chaleur d’émotion, une vivacité d’images, une ardeur de mouvement, une vibration d’accent dont il est parfois, l’instant d’après, tout le premier à s’étonner, et presque à sourire ? Voyez aussi, en attendant celles que l’on connaîtra plus tard, les « lettres de combattans » que publient tous les journaux. Eh bien ! tout cela, c’est la matière brute, c’est le jaillissement spontané, involontaire, du futur lyrisme. Vienne un poète, un vrai poète et un grand poète qui, ayant éprouvé et accueilli toutes ces émotions, les ayant laissées filtrer à travers son âme, les soumette à la discipline de l’art, et sache leur donner cet air d’éternité que, seule, assure la forme verbale parfaite ; et comme au temps du Romantisme, et pour les mêmes raisons, nous verrons se lever une admirable floraison lyrique. Le marbre est là, tout prêt : il n’attend plus que le statuaire.