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La « hardiesse » n’est pas l’impudeur, et l’immoralité n’est pas du tout nécessaire au génie. Aussi bien les épreuves que nous.traversons vont nous rendre, elles nous ont déjà rendus sévères pour les légèretés auxquelles certains d’entre nous ont pu, jadis, se laisser entraîner. Les tragiques réalités auxquelles nous avons été mêlés ont nécessairement incliné nos réflexions, sinon a la tristesse, tout au moins à la gravité. La frivolité ne saurait plus être notre fait. Quand on voit la mort de près, on se rend compte que la vie est une chose sérieuse, et l’on perd le goût de certains badinages. D’autre part, qui ne sent qu’après la guerre, après la victoire, pour réparer tant de ruines accumulées, il faudra de longues années, de grands efforts persévérans, bref, une immense bonne volonté générale ? Ironie, scepticisme, indifférence morale, épicurisme sont des dispositions qui passeront pour parfaitement « indésirables » dans la cité future. Dans la grande ruche bourdonnante, il n’y aura plus de place pour les frelons. Or, à cette œuvre collective la littérature ne pourra manquer de collaborer à sa manière. Nous demanderons aux livres que nous lirons de nous entretenir dans les sentimens graves dont nous aurons besoin pour accomplir notre tâche. L’Abbesse de Jouarre et la Révolte des anges nous paraîtront de moins en moins des œuvres hautement éducatives. Nous refuserons notre confiance à ceux qui voudront obscurcir dans nos âmes les notions de devoir et de conscience morale. Nous ne demanderons assurément pas à nos auteurs de se costumer en de fâcheux prédicans, mais nous estimerons que, sans sortir de leurs attributions, et sans être ennuyeux, ils pourront nous faire sentir la souveraine importance des problèmes moraux. En un mot, ils auront pour mission de dégager et de mettre en pleine lumière le sérieux profond de notre race, et de rappeler, à ceux qui seraient tentés de l’oublier, que, si la France est le pays de Voltaire, elle est aussi le pays de Pascal.

Et je crois enfin que la littérature de tout à l’heure sera, dans son ensemble, d’une inspiration hautement religieuse. On a souvent observé que les grandes commotions politiques et sociales, les grandes mêlées d’hommes et de peuples, — et il n’y en a pas eu dans l’histoire de comparable à celle à laquelle nous assistons, — sont généralement accompagnées ou suivies de fortes explosions de mysticisme. Les raisons de ce phénomène sont assez faciles à démêler. Dans la vie ordinaire, et,