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assez peu probable qu’ils nous prêchent le culte du moi ; j’imagine au contraire qu’ils seront de fervens apologistes de la solidarité, non pas de cette solidarité vague et toute théorique qu’on nous vantait jadis, et qui, d’ailleurs, s’accommode fort bien, en pratique, de l’intolérance et du sectarisme irréligieux, mais d’une solidarité réelle, effective, non conditionnelle, fondée sur « l’entr’aide » que se doivent tous les enfans d’une même patrie. Ce sera là aussi l’une des leçons de la guerre, et non pas l’une des moins utiles. Il y a quelques mois à peine, l’union, avouons-le, n’était point parfaite parmi les Français. La politique, la religion, les idées et les intérêts créaient entre nous tous bien des sujets de discorde. Brusquement, devant le danger commun, toutes ces divergences ont disparu. Les riches, les pauvres, les hommes de pensée et les artisans, les croyans et les libres penseurs, tous, la main dans la main, ont couru à la frontière. Ils s’ignoraient hier ; aujourd’hui, ils fraternisent sur les champs de bataille ; ils versent leur sang pour une même cause, et, dans la familiarité des mêmes dangers courus, des mêmes sacrifices héroïquement acceptés, des mêmes fatigues, des mêmes privations, et des mêmes tristes ou glorieuses émotions, ils prennent une conscience qu’ils n’avaient pas encore des liens secrets qui les unissent les uns aux autres, et, tous ensemble, à cette assemblée des vivans et des morts qui constitue la Patrie. Les différences sociales s’abolissent ; les oppositions de sentimens ou de doctrines s’émoussent ; les préjugés de classes ou de coteries s’atténuent ou disparaissent. L’ouvrier blessé qu’un « patron, » au péril de ses jours, transporte à l’ambulance prochaine, oubliera les déclamations socialistes dont, hier, il se leurrait lui-même, et l’on a vu, — ironie involontaire ! — un soldat qui pansait son lieutenant en sifflant l’Internationale. Et cette pénétration mutuelle des diverses catégories sociales ne s’est pas limitée à l’armée. Chez ceux et celles qui ne partaient pas, il y a eu aussi un admirable élan de solidarité qui s’est traduit sous bien des formes : sociétés de secours aux blessés, aux réfugiés des régions envahies, aux familles des mobilisés, et combien d’autres œuvres ayant pour objet de venir en aide aux victimes innombrables de cette terrible guerre ! Chacun a voulu, de sa bourse, de son temps, de ses facultés inemployées, de sa bonne volonté agissante, coopérer le plus activement possible à l’œuvre