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versale de Strasbourg à Saverne les reliait toutes trois ; toutes ces routes sont promptement débarrassées des « chenapans » (détrousseurs de poulaillers), résidu des bandes de la guerre de Trente Ans, qui les infestaient depuis des années. En outre, tous les péages locaux sont supprimés, mais le commerce de l’Alsace resta orienté vers l’Allemagne, car un cordon de douanes l’isolait de la France. Elle était « province d’étranger effectif ». Le Rhin, dont la navigation avait été proclamée libre par les traités de Westphalie, était la grande voie historique des échanges, et la paix lui redonna tout d’abord une animation considérable, surtout entre Strasbourg et Mayence. Malheureusement, les endiguemens qui furent exécutés à bonne intention, pour éviter les inondations, eurent comme effet de précipiter le courant et de déplacer à chaque instant le chenal navigable. Il fallait déjà une dizaine de jours pour remonter de Mayence à Strasbourg en 1650, il en faudra dix-huit en 1753, vingt-sept en 1786. Nul ne reprochera d’ailleurs au gouvernement français de n’avoir pas résolu au xviiie siècle un problème qui ne l’est encore que très imparfaitement aujourd’hui.


Au surplus, les avantages matériels peuvent contribuer à rendre supportable une annexion, ils ne suffiront jamais à la faire oublier. L’Alsace a goûté les avantages d’une police plus ferme, d’une justice plus égale, d’une paix mieux assurée ; mais il faut autre chose que le légendaire « plat de lentilles » pour gagner une population fière, consciente de sa valeur et nullement prédisposée à croire d’avance que sa civilisation est inférieure à celle de ses nouveaux compatriotes. Il faut, pour que le sentiment national s’enracine dans ces conditions chez les derniers nés de la Cité, que la Cité où ils entrent ait à leurs yeux du prestige. Si le changement de patrie apparaît, à tort ou à raison, comme une déchéance, il ne sera jamais subi que comme une épreuve provisoire. Des barbares se laissent assimiler par des peuples de civilisation supérieure, et c’est le cas de presque toutes les provinces romaines, mais des barbares n’arrivent pas à nationaliser des vaincus qui se sentent supérieurs à eux, et les exemples d’échecs de ce genre ne manquent pas jusque dans l’histoire contemporaine. Or, la France de Louis xiv jouissait d’un prestige auquel nul ne se refusait à rendre hommage ; tous les princes allemands copiaient « le