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de loisirs pour s’attarder aux mystères de l’ « écriture artiste, » pour déchiffrer les rébus que, sous prétexte d’originalité, nous offrent plus d’un des nouveaux venus dans les lettres ; ils voudront sous l’écrivain trouver un homme, et un homme qui leur parle le langage robuste et clair, alerte et plein, dont ils se sont fait une heureuse habitude.

— En d’autres termes, dira-t-on, ils ne priseront que l’art classique, et ils réclameront un retour pur et simple aux qualités de forme qui caractérisent les œuvres d’un Corneille ou d’un Pascal, d’un Racine ou d’un Molière.

— Je ne pense pas qu’ils répudient toutes les acquisitions, tous les enrichissemens que l’art littéraire a dus aux diverses écoles qui se sont succédé chez nous depuis deux siècles : le romantisme, le naturalisme, le symbolisme même ne seront pas pour eux lettre morte ; ils continueront à lire et à goûter Chateaubriand et Victor Hugo, Taine et Leconte de Lisle, et même Verlaine. Mais ils auront, cela est bien certain, un vif sentiment de notre tradition littéraire ; ils s’insurgeront contre tout ce qui risquera de l’altérer et de la compromettre ; et ils n’admettront comme nouveautés légitimes que celles qui se concilieront pleinement avec elle.


II

Quelles seront d’autre part les sources d’inspiration auxquelles puiseront de préférence les écrivains qui, après la guerre, voudront solliciter nos suffrages ?

Ce n’est assurément pas s’aventurer beaucoup que d’affirmer que le patriotisme sera l’une des principales. A plusieurs reprises depuis quarante-quatre ans, l’idée de patrie chez nous a traversé des crises qui, au fond, étaient beaucoup moins graves qu’elles ne nous le paraissaient, mais qui, néanmoins, ont été trop fécondes en gestes fâcheux et en propos désobligeans. « Je ne donnerais pas en échange de ces terres oubliées (l’Alsace et la Lorraine) ni le petit doigt de ma main droite… ni le petit doigt de ma main gauche… Il me parait qu’elle a assez duré, la plaisanterie des deux petites sœurs esclaves, agenouillées dans leurs crêpes au pied d’un poteau frontière, pleurant comme des génisses au lieu d’aller traire leurs vaches… Nous ne sommes pas patriotes. » Je ne veux pas nommer celui qui, en