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que nons écrivions encore dans la première quinzaine de juillet ! Comme elles nous semblent vieillies, si nous nous avisons de les relire ! Elles nous font l’effet d’être d’une main étrangère. Nous ne nous reconnaissons plus en elles. Trop d’événemens, et de trop importans, se sont écoulés depuis lors ! Trop d’émotions diverses et profondes ont agité nos cœurs ! Trop de morts se sont entassés sur les champs de bataille ! On dirait qu’un monde est en train de s’abîmer dans le passé, dont nous sommes les témoins étonnés et les éphémères épaves. Quelques mois ont suffi pour nous vieillir d’un demi-siècle. On nous a littéralement changé notre âme. Comment, pour l’exprimer, n’aurions-nous pas désormais recours à des moyens d’expression un peu différens de ceux dont nous usions jusqu’ici ?

Ce que seront ces moyens d’expression, c’est ce qu’il serait sans doute bien prématuré, et un peu téméraire, de vouloir trop nettement indiquer. Ce que l’on peut dire, ce me semble, d’une manière un peu générale, c’est que la littérature de demain, prose et poésie, aura vraisemblablement, dans la forme, quelque chose d’un peu plus simple, d’un peu plus direct, d’un peu plus viril, en un mot, que celle dont nous nous nourrissions jusqu’alors. Je ne veux assurément pas médire de nos prosateurs, ni de nos poètes, et je sais que la réforme que je souhaite et que j’espère est déjà représentée et commencée par d’excellens écrivains. Mais n’est-il pas vrai qu’il y a, même chez quelques-uns des plus beaux talens d’aujourd’hui ou d’hier, des raffinemens de style, des complications de facture, des subtilités d’exécution, des mièvreries ou des gentillesses qui, déjà, nous déconcertent quelquefois, et qui, en tout cas, font plus d’honneur à l’ingéniosité de l’artiste qu’à la sûreté de son goût. Il est probable que bientôt on se montrera un peu sévère pour ces recherches où l’on ne voudra voir que des ornemens de décadence ; la préciosité paraîtra insupportable. Exprimer fortement, avec une brièveté un peu nue, les sentimens ou les idées dont on est plein, fuir les développemens verbeux, tout ce qui est rhétorique ou pure virtuosité de style, rechercher la simplicité des lignes, la netteté du tour, voilà quel sera probablement l’idéal littéraire de demain. À ces jeunes gens qui auront vécu si dangereusement pendant des mois entiers, qui auront connu l’action sous sa forme la plus mâle et la plus exaltante, il faudra une nourriture spirituelle appropriée à leurs besoins nouveaux. Ils auront peu