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s’appliquait aussi du reste aux usines ou aux magasins français organisés à la moderne. Seulement, l’Allemagne avait généralisé le système, et c’était là tout-le secret de sa force.

Elle passait pour fabriquer surtout de la « camelote, » parce qu’elle sacrifiait totalement la qualité dans sa recherche du bon marché à outrance de certains articles. Elle vendait aussi les bonnes marchandises à qui voulait les payer cher ; mais la vérité est que, plus que les Anglais et plus que nous-mêmes, elle avait compris qu’il existe de par le monde une clientèle que seul le bas prix peut atteindre et entraîner. Elle s’est donc mise en mesure de conquérir cette clientèle dans les deux hémisphères en lui fournissant ce qui lui plaisait ; elle y a réussi.

Camelote ou non, ces marchandises populaires ont créé le gros chiffre d’affaires qui permet la spécialisation : vingt fabricans, qui se cantonnent chacun dans un petit nombre d’articles, travaillent mieux et gagnent plus que si chacun d’eux fabriquait l’universalité des objets qui sortent de leurs vingt manufactures. Les industries spécialisées puisent dans leur succès de quoi le multiplier encore : si les deux tiers des bateaux qui se construisent annuellement dans le monde sortent des chantiers britanniques, où ils coûtent de 25 à 50 pour 100 moins cher que partout ailleurs, c’est que l’on voit arriver à Palmer des trains entiers composés uniquement de hublots et d’autres de bittes, pièces d’amarrage, et ainsi de chaque détail à la confection duquel certaines usines sont exclusivement adonnées.

C’est parce que le jouet a pris une grande importance en Allemagne qu’il s’y est fondé des industries qui vivent sur une seule spécialité et font, par suite, pour améliorer leur outillage, des sacrifices que ne pourrait consentir un patron employant une extrême diversité d’appareils. Or, celui qui, avec 500 000 francs de nouveau matériel, amortissable en dix ans, économise 100 000 francs de salaires, gagne 50 000 francs par an de plus que son confrère qui n’a pas fait la même dépense.

Avec une vente mondiale, l’amortissement rapide de l’outillage ne grève que très légèrement la marchandise ; tandis que l’industriel qui n’envisage que le marché français se paralyse d’avance en grossissant ses prix de revient d’un taux d’amortissement excessif. Le même calcul s’applique aux frais généraux,