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stock de ces modestes marchandises, ouvrit dans le quartier du Marais, en janvier 1885, une boutique d’un loyer annuel de 1 000 francs. Il avait pris soin d’envoyer une circulaire aux bazars de Paris et de province pour leur offrir ses services : en six mois, ses ventes s’élevèrent à 258 000 francs ; l’année suivante, son chiffre monta au million. Au bout de la quatrième année, il faisait trois millions d’affaires ; il en fait neuf aujourd’hui, et son comptoir tient un des premiers rangs sur la place. Ce notable et laborieux créateur d’une grosse fortune se plaint à moi de ce que les Français d’une certaine classe s’écartent des affaires ; il voit là une des causes de notre infériorité dans la lutte internationale et, comme je partage tout à fait son opinion, nous déplorons ensemble ce fâcheux état d’esprit ; à fa lin de notre conversation, il me dit avoir quatre fils…, mais il n’a pas pu en décider un seul à entrer dans le commerce.

Nous n’avons pas besoin d’écoles de fabrication du jouet, comme en a créé la Thuringe, parce que nous avons du goût et de l’invention à revendre. Le goût, nos ennemis eux-mêmes reconnaissent que Paris en a l’apanage ; ils entretenaient dans l’atmosphère artistique de notre capitale des dessinateurs français, appointés à l’année pour créer et envoyer des modèles. L’invention, il suffit de voir les savans automates de M. Descamps, les bonshommes Martin, plus populaires parce qu’ils coûtent moins cher et tout le petit monde auquel nos fabricant du Concours Lépine donnent chaque année le mouvement et la mesure, — violoniste ambulant raclant son instrument, bicycliste en équilibre, torero agitant sa cape, pêcheur jetant sa ligne, lessiveuses ou scieurs de long au travail, — pour reconnaître que nous avons chez nous plus d’originaux que de copies.

Mais l’esprit mécanique de l’Allemand n’est point méprisable ; il simplifie le modèle autant qu’il est possible pour l’amener à un prix de vente très bas, puis il en fabrique des myriades et remue ciel et terre pour les écouler. C’est le cercle très vieux et très connu : de la production intensive créant le bon marché qui crée à son tour le débit énorme. Quant aux bénéfices, on les réduit au minimum sur l’unité, afin de se rattraper sur le nombre. De quelque industrie, de quelque commerce allemand qu’il s’agisse, j’entends de ceux qui prospéraient avant la guerre, la formule était la même. Elle