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— une douzaine de millions pour une affaire étrangère, même médiocre, et qu’il est bien difficile d’obtenir quelques centaines de mille francs pour une affaire française, même excellente. Souvent des maisons prospères qui veulent s’agrandir doivent renoncer à emprunter, parce qu’elles refusent de payer des commissions exorbitantes. Quant aux patrons embarrassés, à qui des intermédiaires sans scrupule procurent des fonds, moyennant un courtage de 30 pour 100, ils ne tardent pas à sombrer, et leur naufrage confirme le gros public dans son effroi pour les placemens industriels.

Plus ambitieux, l’Allemand, pour brasser beaucoup d’affaires avec peu d’argent, fit de son argent, mobilisé par un consentement général, le support d’un échafaudage gigantesque de crédit, c’est-à-dire de confiance réciproque, entre les industriels et les banquiers. Un fabricant de jouets, sans capitaux, obtenait-il 300 000 francs d’ordres à la foire de Leipzig, il allait trouver son banquier, qui, après avoir pris ses renseignemens sur les acheteurs, lui avançait immédiatement 25 pour 100 de la commande et lui payait plus tard le montant intégral de la marchandise, sur le vu du connaissement, lorsqu’elle était destinée aux pays d’outre-mer. Ces avances et ces paiemens ne coûtaient rien au banquier, mais au contraire le faisaient vivre, puisqu’ils s’effectuaient en papier, par réescomptes de traites, et surtout par ventes d’acceptations.

Ce dernier moyen de battre monnaie avec sa signature, que nos grands établissemens français regardent aujourd’hui comme indigne d’eux, quoiqu’ils l’aient pratiqué longtemps et avec fruit depuis leurs débuts jusque vers la fin du XIXe siècle, permit aux banquiers allemands de prêter au commerce l’argent qu’ils n’avaient pas eux-mêmes, mais dont ils se constituaient débiteurs. Ce papier de circulation, cette « cavalerie » d’effets croisés, renouvelés, constituait, si l’on veut, un portefeuille assez malsain, surtout en cas de crise, et transformait le banquier en commanditaire de ses cliens, lorsque ceux-ci emplovaient les fonds à des aménagemens d’usines ou à des achats de matériel qui ne peuvent se liquider à quatre-vingt-dix jours. Quelque jugement que l’on porte sur le système, il servit à financer l’industrie d’outre-Rhin, parce que tout le monde fut d’accord pour en accepter les risques. Il aida les commerçans allemands à consentir sur les places lointaines ces crédits prolongés d’un