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en réduction, de brownings à 5 francs la douzaine, et le canon à 2 sous de Ménilmontant a détrôné le canon allemand qui valait le double jusqu’à ces dernières années. Pour le soldat de plomb, malgré l’augmentation des effectifs, les maisons françaises et anglaises ne peuvent suffire à la demande ; bien des fabricans reculent devant les frais de confection des-moules, malgré l’exemple de confrères plus hardis qui, sans capitaux, se sont lancés au début de la guerre dans cette spécialité et ont rapidement amorti leurs dépenses initiales.

Avouons-le, nos concitoyens ont moins envie de gagner que peur de perdre. La crainte du risque, la modération dans les désirs ou, si l’on veut, la prédominance de l’instinct de conservation sur le besoin de combativité, sont la caractéristique de l’industrie et du commerce français et le reproche global qu’ils méritent. Les tendances opposées, poussées jusqu’à l’excès, font au contraire la force de l’industrie allemande. Certes, depuis un demi-siècle, notre pays a compté de hardis capitaines de la production et de l’échange, solidement charpentés pour les batailles économiques. J’ai pris plaisir à conter leurs triomphes-en des études sur le Mécanisme de la vie moderne, dont les lecteurs de la Revue n’ont peut-être pas perdu le souvenir. Pour transformer la vie matérielle, pour créer de nouveaux outils, de nouvelles substances et de nouveaux procédés qui permissent aux Français du XIXe siècle de se nourrir, de se loger, s’habiller, se mouvoir sur terre et sur l’eau, de s’éclairer, se chauffer, se soigner ou se divertir trois fois mieux, dix fois plus, que ne faisaient les générations antérieures, il s’est rencontré parmi nous un lot de citoyens précieux, artisans de notre bien-être et de notre richesse, dont l’énergique audace, chacun dans sa branche d’activité, n’a été dépassée nulle part.

Mais la masse de la nation, sitôt que la fortune publique eut augmenté, se préoccupa bien plus de maintenir son pécule ou de l’accroître doucement par l’économie, que de le multiplier par des spéculations forcément aventureuses. D’abord elle économisa les enfans : la hausse des salaires ayant précédé chez nous la baisse de la natalité, l’on peut voir entre les deux phénomènes un rapport de cause à effet. N’y eût-il eu que coïncidence, le prix croissant de la main-d’œuvre, qui est un bienfait pour le travailleur et dont il convient de se réjouir au point de vue social, est pour le pays, abstraitement considéré,