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de quatrième classe, elle avale quelques gorgées de lait coupé d’eau chaude et parfumé d’un soupçon de café, à même la bouteille que le tenancier du buffet doit fournir gratis aux voyageurs trop pauvres pour se payer de la bière. La grande affaire, pour cette population industrielle, est d’ordre purement agricole : c’est de savoir si l’année sera bonne pour les pommer de terre, afin d’avoir de quoi manger à sa faim.


V

Mais pour la plupart des autres articles, dont l’Allemagne s’est fait un monopole, rien n’explique pourquoi nous le lui avons laissé prendre : c’est de chez elle que viennent exclusivement les accordéons, les harmonicas, dont le débit est immense dans le monde entier et que nos fabricans prétendent ne pouvoir établir, même à prix double, aussi justes comme sons. Il n’est pas moins curieux que personne, dans notre république, ne consente à faire les soufflets pour animaux bêlans, ni d’ailleurs les musiques ou le simple cri intérieur des jouets rembourrés, ours, singes, bébés ou clowns. Depuis que la frontière est fermée, ces animaux en peluche ont cessé de crier ; mais leur silence, en temps normal, les rendrait incapables de supporter la concurrence, quoiqu’ils soient mieux faits en France qu’à l’étranger.

La maison alsacienne, qui fabriquait jadis à Strasbourg les théâtres d’enfans et autres jeux de même sorte s’était, après la guerre de 1870, transportée à Lunéville où elle trouvait dans les droits de douane une protection efficace. Grâce à elle, arlequins et polichinelles, ces vieux émigrés d’Italie, nous restaient fidèles, et c’étaient toujours des guignols bien français qui continuaient à rosser le commissaire. Attentifs à supprimer nos usines autant qu’ils le peuvent, les Germains ont détruit celle-ci au cours de la présente guerre, et 500 ou 600 moules en bronze, qu’il faudra des années pour refaire, ont été anéantis. A Senlis, la plus forte manufacture de jouets en peaux a subi le même sort, tandis que le pavillon d’habitation, situé à peu de distance, était respecté.

Mais, si l’on veut se rendre compte à quel point est fausse l’affirmation, trop souvent entendue parmi nous, que l’Allemand