Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’inaction, d’une erreur ou d’un oubli, pour qu’une industrie solide soit mise en échec, un moment envahies par l’Allemagne, la poupée comme la locomotive française n’ont gardé ou ne reconquerront leur place qu’après de rudes efforts.

Celles de nos lectrices qui jouaient à la poupée en 1873 virent à cette époque un véritable « bébé, » à figure infantile, remplacer dans leurs bras la « petite fille » ou la jeune « dame, » habillée comme leur maman, qu’elles avaient bercée jusqu’alors. M. Jumeau, l’auteur de cette révolution pacifique, perfectionna son bébé, de carton moulé à tête de porcelaine, en le dotant d’abord de membres en bois évidé, puis d’articulations et de rotules par juxtaposition de pièces tournées, enfin de mains dites incassables, grâce à une composition de silicate de potasse mélangée de colle et de sciure de bois. Carrier-Belleuse avait sculpté pour lui un modèle de tête artistique, et l’Exposition de 1889 venait de le sacrer sans rival pour la qualité…, mais non pour les prix. En effet, le bébé Jumeau était cher et, dès 1890, la concurrence se fit sentir, à l’étranger d’abord ; l’exportation française aux Etats-Unis tomba de moitié en quelques années, tandis que les Allemands surent esquiver l’élévation des tarifs Mac-Kinley, de 35 pour 100 ad valorem, par l’établissement d’articles meilleur marché. Ils atténuèrent de même les droits français de 1892, établis désormais au poids à raison de 60 francs les 100 kilos, en créant des poupées plus légères.

La France gardait le monopole des bébés de luxe, dont il se vend peu ; mais dans les foyers populaires, les bébés allemands chassaient les nôtres, lorsqu’en 1899 les principaux fabricans de Paris fusionnèrent en un trust, sous le nom de Société française des Bébés et Jouets. Le rapport du commissaire-appréciateur constatait que les frais absorbaient à peu près les bénéfices de tous les apporteurs, sauf un seul ; tandis que le groupement et la suppression des loyers, patentes, voyages et dépenses diverses qui les grevaient individuellement leur donneraient une force nouvelle. Habilement dirigée, la Société française des Bébés a su doubler depuis quinze ans le chiffre de ses affaires, qui touche aujourd’hui 5 millions ; elle occupe 2 000 ouvrières et distribue à ses actionnaires un dividende de 8 à 9 pour 100. Malgré les progrès réalisés dans ses usines par l’industrie des poupées, elle était encore sur plusieurs