Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/340

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guère ni le succès de l’armée serbe, ni une extension de la Principauté. Celle-ci se présentait dès cette époque, aux yeux de ceux qui s’occupaient des affaires d’Orient, comme devant jouer dans les Balkans un grand rôle dont le pressentiment ne plaisait pas également à tout le monde.

Les facilités que le Cabinet de Vienne accordait aux Bosniaques et l’espèce d’intérêt qu’il portait à l’insurrection avaient d’ailleurs pour motif non pas des sympathies pour ces populations, ni le désir de les voir libérées et annexées, comme elles l’eussent désiré, à la Serbie et au Monténégro, mais bien le dessein de préparer pour soi-même des motifs et des droits, afin de pouvoir un jour en prendre possession. La théorie des Hinterlander pour la Dalmatie a été mise en avant dès les années 1871 et 1872, par Beust, je crois. Quoi qu’il en soit, le comte Zichy et le comte Corti, ministre d’Italie, tenaient plutôt le côté de l’ambassadeur d’Angleterre. Le baron de Bourgoing se rangeait plutôt à mon avis et était assis à côté du baron Werther, entre lui et Corti. La question de l’armistice, à plusieurs reprises posée, fut chaque fois écartée à la suite de mon opposition, fondée sur les assurances du colonel Zélenoy, jusqu’à ce qu’un jour il devînt évident que les Serbes étaient vaincus, qu’Eyoub pacha était triomphant et que Belgrade même était menacé. De Pétersbourg, ou plutôt de Livadia où se trouvait le prince Gortchakof avec sa chancellerie auprès de l’Empereur, et où l’on approuvait chaudement mon attitude, je reçus subitement l’ordre d’insister, sur la demande même et très pressante des Serbes, pour que les opérations de l’armée turque fussent arrêtées, afin que l’on pût s’occuper des conditions du rétablissement de la paix. Ma position était embarrassante. Elliot ne manqua pas de me signaler les contradictions qui caractérisaient ma conduite : je me défendis de mon mieux en prenant la chose de haut et en parlant au nom des grands principes d’humanité qui exigeaient que l’on mît fin à une effusion de sang qui menaçait de dégénérer en extermination. Je demandais, à mon tour, à Elliot pourquoi lui, qui prêchait la nécessité de faire cesser la guerre, se refusait maintenant à faire une démarche dans ce sens lorsque nous-mêmes, qui y étions opposés, nous étions ralliés à sa manière de voir. La démarche collective fut décidée, mais les Turcs voyaient parfaitement que tous n’y allaient pas sincèrement et ils