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militaires par nos marins et je fis en effet armer des embarcations qui devaient faire le guet le long du quai et en fermer l’issue qui mène au quartier turc, dès que le moindre soupçon de désordre s’y manifesterait. Il n’arriva rien. Mais l’inquiétude subsistait toujours. Elle était du reste suffisamment justifiée par certains incidens, qui s’étaient produits aux environs de Constantinople. Parmi les volontaires accourus pour s’enrôler, il y avait une troupe de Zéibek, la plus cruelle et la plus sauvage des peuplades turques qui habite la Caramanie. Leur campement se trouvait près de la chaussée qui conduit de Péra à Buyukdéré et à Thérapia, et plus d’un voyageur et surtout voyageuse, ont eu à s’en plaindre. Une certaine Mme Giuliani, avec sa fille, ont été parmi les victimes, et la fille en a fait une maladie.

Ce qui rendait notre situation, à nous autres Russes, encore plus difficile, c’est que l’action des principautés slaves contre la Turquie provoqua une démonstration anti-slave de la part des Grecs. La question bulgare avait tellement excité les passions que des Grecs venaient s’engager comme volontaires pour aller avec les Musulmans combattre des Orthodoxes…


La guerre turco-serbo-monténégrine était au fond la principale question politique que j’avais à traiter durant mon intérim de l’été 1876. Toutes les autres en dérivaient jusqu’à un certain point. La protection officieuse des sujets monténégrins et serbes nous était plus ou moins dévolue, et quoique la Porte envisageât les deux principautés comme vassales du Sultan, on y admettait, non sans réticence, notre intervention en leur faveur et à l’égard de leurs sujets. D’ailleurs, il n’en resta pas beaucoup à Constantinople. Les Monténégrins qui étaient les plus nombreux, dès qu’ils entendirent parler de guerre, s’empressèrent de quitter les places et les travaux où ils étaient employés et de courir à la défense de la patrie. Les paquebots du Lloyd étaient, pendant quelque temps, encombrés de ces voyageurs peu commodes, il faut l’avouer, de sorte que le public habituel avait fini par renoncer à s’en servir. Les employés de l’Administration étaient impuissans à modifier cet état de choses. La plupart des capitaines du Lloyd et des hommes de l’équipage étaient slaves, voisins du Monténégro ; ils mettaient une bonne volonté particulière à faciliter à leurs frères de race