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ont dressé un protocole disant qu’il avait réellement mis fin à ses jours par un suicide aussi extraordinaire. En fait, aucun d’eux n’examina le cadavre, aucune autopsie ne fut faite, et tout prouve que l’infortuné Sultan a été étouffé. On racontait que des cris terribles avaient été entendus par des cherkets qui passaient. Abdul Aziz était très robuste et très fort. La lutte avait dû être terrible. Un procès ignoblement conduit a condamné quelques années plus tard ses assassins. Personne n’a cru qu’on y ait dit la vérité. Abdul Hamid, alors sultan, avait besoin de se débarrasser des hommes qui avaient fait détrôner son oncle et qui, mécontens de son propre régime, tout opposé à celui qu’ils avaient eu en vue de donner à la Turquie, restaient un danger permanent pour lui-même. Quoi qu’il en soit, le fait que le Sultan détrôné a été assassiné reste incontestable et la nouvelle de sa mort a produit un effet si saisissant sur l’esprit du doux et faible Mourad qu’il en perdit définitivement la raison. Il eut des accès de folie ; son couronnement devenait impossible, et son maintien même sur le trône n’était dû qu’à la difficulté de faire une seconde révolution et à l’embarras où se trouvaient les ministres.

Quelque saisissante qu’ait été la nouvelle de la mort d’Abdul Aziz, personne au fond n’en a été surpris. On s’attendait à le voir disparaître d’une manière ou d’une autre : c’était trop dans les traditions du gouvernement ottoman pour que les détenteurs actuels du pouvoir y manquassent, si, comme cela était le cas, le souverain n’était pas homme à ordonner un assassinat. D’ailleurs, Midhat et consorts devaient veiller à leur propre sécurité. Abdul Aziz vivant, une réaction en sa faveur était toujours possible ; on craignait les intrigues et l’influence d’Ignatieff ; il fallait à tout prix y mettre un terme, et Abdul Aziz fut occis. Le fait qu’il avait encore des partisans très résolus n’a pas tardé à être prouvé d’une manière sanglante par l’assassinat, en plein Conseil, du ministre de la Guerre Hussein Avni pacha et de celui des Affaires étrangères, Rachid pacha.

Un ci-devant aide de camp du séraskier, un Circassien nommé Hassan, a été l’assassin. Il était venu d’abord chercher le ministre de la Guerre dans son yali du Bosphore, mais ayant appris qu’il était au Conseil, lequel se trouvait réuni après le repas du soir dans le konak de Midhat pacha, il s’y rendit, et, selon l’usage adopté en Turquie pour les aides de