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télégramme et cela égaya la chancellerie, assez troublée par les nouvelles de Salonique.

Le reste de l’histoire du meurtre des consuls est connu. Après de longs pourparlers, une commission spéciale fut chargée de faire une enquête sur les lieux. Un délégué allemand (le consul Gillet) et un Français en faisaient partie. Des bâtimens de guerre furent envoyés par la plupart des Puissances. Mais les Turcs avaient des forces navales assez considérables, et l’attitude du gouverneur général, qui était au fond le principal coupable, était de nature à faire craindre un nouvel et plus grave éclat de fanatisme. La population musulmane était excitée et, lorsque les commissaires descendus à terre se rendirent au konak pour y commencer l’enquête, l’attitude de la population était des moins rassurantes. Quand ils furent arrivés dans le local où devait avoir lieu la procédure, le gouverneur général quittait continuellement la séance sous différens prétextes et venait la troubler en annonçant qu’une foule énorme se réunissait, qu’il pourrait y avoir une attaque contre le konak et qu’il devait aller prendre des mesures.

Il avait évidemment envie de se soustraire à l’autorité de la Commission qui devait, il le sentait bien, le condamner : peut-être pourrait-il l’intimider ou faire semblant de la sauver dans un moment de trouble populaire. M. Gillet, — c’est de lui que je tiens ces détails, — inquiet de le voir en rapports continuels avec le dehors et redoutant qu’il ne méditât quelque mauvais coup, finit par le saisir par le bras et lui dit d’un air d’autorité : « Excellence, restez ici, restez avec nous, nous avons besoin de vous. » Et comme l’autre (j’oublie son nom, Mehemed Rifat, je crois) invoquait le devoir qui lui incombait de veiller à leur sécurité et prétendait ne pas se sentir en sûreté lui-même, M. Gillet tira de sa poche un revolver, et, le lui montrant, dit d’un air très décidé : « Eh bien ! j’ai de quoi me défendre, et même de vous défendre en cas de danger, et, si réellement on nous attaque, je préfère vous avoir auprès de nous et je ne vous lâcherai pas. » La vue du revolver calma le pacha ; l’enquête suivit son cours ; plusieurs condamnations à mort et exécutions de bandits eurent lieu ; le pacha, également trouvé coupable et condamné, fut destitué, amené à Constantinople et emprisonné au séraskiérat pour être ensuite envoyé en exil. Son expédition tarda : bientôt on oublia cet incident et ce coupable au milieu