Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/315

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

concluaient au même résultat : il faut la force pour réprimer le mouvement, et la force régulière faisait défaut. Puisque Mahmoud Nedim ne se décidait pas par égard pour IgnatiefT à y recourir ouvertement, il fallait se défendre comme on pouvait, sur place, en faisant appel à la population musulmane et aux Circassiens, que l’on enrôlait et armait à la hâte. De là ces terribles « atrocités bulgares, » qui ont été la cause déterminante de la guerre, et auxquelles le mouvement herzégovinien devait fatalement aboutir.

A Constantinople même, l’agitation dans le monde politique était énorme. L’ambassadeur d’Angleterre encourageait la Porte à user de la force et à réprimer le mouvement. L’organe de cette politique était Midhat pacha, qui travaillait au renversement du grand vizir Mahmoud Nedim pacha, dans l’espoir de le remplacer, et, ainsi qu’il s’est découvert plus tard, au renversement d’Abdul Aziz lui-même. La majorité du corps diplomatique était cependant pour le général Ignatieff, mais, malheureusement, ce dernier n’avait pas lui-même de terrain solide sous ses pieds. Il sentait que les passions des chrétiens étaient déchaînées et qu’il n’y avait plus moyen de les calmer par des promesses. Or, empêcher les Turcs d’intervenir par la force, c’était condamner le Sultan à la perte d’une partie de ses Etats, et, par conséquent, rompre avec lui, laisser choir l’ami de la Russie, Mahmoud, et assurer le triomphe de la politique de sir Henry Elliot. D’autre part, comment encourager ou même autoriser une répression des Bulgares, qui tournerait nécessairement à une extermination. Et les chrétiens rayas n’étaient pas seuls à s’agiter : les vassaux, la Roumanie et la Serbie, brûlaient d’impatience de rompre leurs liens de dépendance et d’aider à la libération de leurs frères sujets du Sultan. Les agens de ces Principautés, prince Jean Ghika et Magazinovitch, accouraient continuellement à l’ambassade et suivaient avec ardeur les événemens. Parmi notre jeunesse diplomatique, l’enthousiasme pour la cause des chrétiens grandissait également. M. Hitrovo, consul général, et le colonel Zélénoy, agent militaire, étaient les plus ardens. On discutait les événemens, on faisait des projets, on s’excitait réciproquement en vue des graves complications que l’on sentait venir. Il y avait, comme contre-coup, une agitation marquée dans le monde musulman, un grave réveil de fanatisme qui nous était signalé de toutes