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il tâchait de démontrer qu’en entreprenant seuls la direction des réformes en Turquie, nous restions pourtant fidèles à l’accord avec nos alliées, Allemagne et Autriche, l’Empereur avait écrit en marge : « Ce n’est pas ainsi que j’entends la fidélité. »

Cependant Ignatieff était maître de la situation à Constantinople, où un grand vizir dévoué à la Russie et un Sultan hostile à l’Occident, étaient disposés à suivre ses inspirations plutôt que d’écouler les conseils de nos adversaires. D’ailleurs, l’ambassadeur d’Autriche, comte Zichy, était également sous le charme de notre ambassadeur et subissait son influence. Mais les choses marchaient autrement en Europe, et le comte Andrassy, auquel nous avions eu la faiblesse d’abandonner la direction de cette affaire, préparait une note, sorte de mémoire qui devait servir de programme à l’action européenne à Constantinople. Lorsque je passai par Vienne, le 19/31 décembre 1875, en ramenant à Moscou ma famille, la note Andrassy, datée de la veille, venait de paraître, et Serge Tatistcheff, secrétaire d’ambassade à Vienne et factotum de Novikoff à cette époque, venu à la gare pour me serrer la main, en parlait comme d’un grand succès de notre diplomatie. Cette pièce, qui n’a eu qu’une célébrité et même une existence éphémère, préconisait, autant qu’il m’en souvienne, des réformes pour les Chrétiens et spécialement pour la Bosnie-Herzégovine, en prédisant autrement à la Turquie les plus grands désastres et la perte des sympathies européennes. Il va de soi qu’une pareille manifestation politique, dénuée de tout soutien matériel, ne pouvait point réveiller la torpeur du Sultan, ni vaincre le mauvais vouloir des Turcs.

Je n’ai pu suivre, pendant quelques semaines, ce qui se passait dans le monde politique, ayant été retenu par des affaires de famille. Je me trouvais à la mi-janvier à Pétersbourg et j’eus là l’occasion de me persuader combien le Ministère comprenait mal la situation, ou plutôt s’obstinait à ne pas la comprendre et à ne pas voir ce qui était évident pour tous ceux qui suivaient de près les événemens ou les étudiaient consciencieusement sans parti pris. A Pétersbourg même, l’opinion publique s’échauffait de plus en plus en faveur des Slaves. Des délégations de la Croix-Rouge, ou plutôt des infirmiers volontaires qui allaient porter secours aux combattans, partaient pour l’Herzégovine ; on faisait en faveur des insurgés des quêtes publiques pour les secourir. M. Bojedanovitch Vesselitzky, ancien