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qui s’interposaient entre le souverain et ses nouveaux sujets. Loin de chercher à faire disparaître ces intermédiaires, il aliène comme à plaisir les anciennes possessions directes de l’Autriche, si bien qu’à la veille de la Révolution, à part quelques places fortes, aucune parcelle du territoire alsacien ne relevait directement du Roi. Partout le seigneur local jouait le rôle d’État-tampon, soit qu’il datât d’avant la conquête, soit qu’il eût été investi depuis. Comme fonctionnaires administratifs nommés par le pouvoir central, il n’y a guère que l’intendant et les préteurs préposés à la surveillance des villes libres. Les gouverneurs militaires sont des personnages décoratifs qui ne jouent aucun rôle dans la francisation du pays, à qui on ne demande jamais d’en jouer un, et qui, pour la plupart, comme le comte d’Harcourt et Mazarin, seraient peu faits pour y réussir. On avait si peu songé à couler l’Alsace dans le moule uniforme des autres provinces, qu’on s’apercevra au moment des élections pour les États Généraux, qui devaient se faire par bailliages, qu’il n’y avait en Alsace ni bailliages ni baillis royaux.

En matière religieuse notamment, le Roi Très Chrétien se garda toujours avec soin de traiter l’Alsace comme le reste du royaume, sous le prétexte d’une vaine assimilation. La tentation n’était pourtant pas médiocre, en ce temps où le chef de l’État se croyait en conscience charge d’âmes. Certes la royauté française s’efforça par tous les moyens de propager le catholicisme, et ces moyens ne furent pas tous très évangéliques. Il en coûtait beaucoup à un souverain absolu, qui se flattait d’avoir exterminé l’hérésie dans ses États héréditaires par la Révocation de l’Édit de Nantes, de la tolérer chez ses nouveaux sujets. Il se sentait pour ainsi dire offensé dans sa prérogative de monarque de droit divin en constatant que l’Alsace, un demi-siècle après sa réunion à la Couronne, comptait encore, suivant les évaluations de l’intendant La Grange, 86 000 protestans (dont 12 000 calvinistes) sur 257 000 habitans. Et cependant le Grand Roi n’a pas cru devoir passer outre. Il s’est incliné devant l’intérêt national et devant sa parole royale. Il a respecté les engagemens pris par Mazarin à la face de l’Europe au moment de l’annexion de l’Alsace, ceux, plus précis et plus récens, qu’il avait pris lui-même au moment de la réunion de Strasbourg. La Révocation n’a pas été appliquée en Alsace. C’était d’une justice élémentaire assurément, puisque la liberté