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politique allemande, une vraie charte d’alliance, le complément de l’union déjà scellée et éprouvée entre la France et la Russie, et, au même titre que cette union, un nouveau pacte destiné à assurer l’équilibre, la liberté de l’Europe et du monde.


VII

La partie de l’accord anglo-français relative au Maroc était pour nous comme le dernier acte et la conclusion du long effort dédié depuis plus de trente ans à la création de notre Empire colonial.

L’Allemagne, au début, non seulement n’avait pas pris ombrage des succès de cet effort, mais avait cru habile et avantageux à sa propre politique de nous laisser ainsi dépenser notre activité en Afrique, en Asie. — Avec cette fatuité et cette ignorance du génie français qui l’ont constamment aveuglée, elle croyait nous affaiblir, nous disperser et nous distraire, elle se figurait dériver notre humeur guerrière et conquérante, notre impatience vers des régions où elle n’avait rien à en redouter. Elle se flattait aussi d’entretenir et d’aviver de la sorte, par les concurrences et les rivalités de la lutte coloniale, l’opposition, la mésintelligence entre la Grande-Bretagne et la France. C’était vraisemblablement cette pensée machiavélique, cette joie de nuire (Schadenfreude) qui, en 1880, lors de la Conférence de Madrid relative à la condition des protégés au Maroc, faisait donner par le prince de Bismarck, au ministre d’Allemagne en Espagne, l’instruction de se ranger toujours à l’avis de l’ambassadeur de France. C’était cette même pensée qui, en 1885, lors de la réunion à Berlin de la conférence sur les affaires du Congo, inspirait au prince une attitude plus favorable, certes, à la France et à la Belgique, qu’à la Grande-Bretagne. De là à se targuer d’avoir spontanément contribué au développement de notre domaine colonial, il n’y avait pas loin. De là aussi la surprise et le dépit lorsqu’en 1904 l’Allemagne dut constater que non seulement les rivalités coloniales n’avaient pas réussi à séparer, à aliéner l’une de l’autre la Grande-Bretagne et la France, mais qu’au contraire c’était un arrangement général sur leurs colonies ou protectorats et sur leurs intérêts dans les diverses parties du monde qui donnait à la Grande-Bretagne et à la France l’occasion de conclure cette « entente cordiale » d’où devaient sortir tant et de si extraordinaires conséquences.