Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 27.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

combien entre le principal de ces négociateurs, je veux dire la Grande-Bretagne, et nous-mêmes, il y avait non seulement avantage, mais un véritable soulagement à s’entendre. Les deux interlocuteurs avaient, pendant leur entretien, comme jadis les deux adversaires à Fontenoy, appris à se connaître, à s’estimer, à se rendre justice. Au plus fort même de leurs dissentimens, subsistaient le respect mutuel et la sympathie. Telle conversation comme celle qui eut lieu sur le Haut-Nil entre le sirdar Kitchener et le commandant Marchand fait honneur aux deux héros et à l’humanité : elle fait aussi honneur à l’Angleterre et à la France.

C’est, en tout cas, au sortir des longues et parfois pénibles négociations relatives à l’Afrique occidentale et équatoriale que la France et l’Angleterre, s’étant appréciées et retrouvées, ayant en outre constaté l’état du monde et les périls de l’avenir, ont senti le besoin d’achever l’apaisement de tous leurs litiges et de devenir libres pour un rapprochement que toutes deux prévoyaient, pressentaient, désiraient.

L’histoire dira quelle a été dans ce rapprochement la part des événemens et celle des hommes. Elle a déjà dit, et la gratitude des deux peuples a reconnu avec elle, quelle a été celle de feu le roi Edouard VII. Jamais peut-être souverain n’avait été mieux préparé par sa nature même, par la clarté de son esprit et la générosité de son cœur, par l’expérience de toute une vie consacrée à la connaissance du monde et des hommes, par un tact psychologique sans égal, par un goût profond et réfléchi pour notre pays, à la tâche qu’il a si merveilleusement accomplie. Lorsque le roi Edouard VII a fait, au printemps de 1903, sa visite d’avènement au président de la République, et, ajoutons-le, à ce Paris qu’il a toujours si bien compris et deviné, il portait vraiment le destin dans les plis de son manteau. Une année plus tard, après des négociations définitives qui épuisèrent tous les sujets restés pendans entre les deux chancelleries, était conclu le mémorable accord du 8 avril 1904.

Cet accord qui n’était, dans ses termes, que le règlement entre les deux pays des dernières questions non encore résolues sur divers points du globe, notamment en Égypte et au Maroc, allait devenir, par le sentiment des deux peuples, par la sagesse et la prévision des deux gouvernemens, par la logique des événemens, par la suite d’erreurs et l’obstination aveugle de la