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chement sa politique alsacienne vers une assimilation progressive de l’Alsace aux autres provinces françaises, ou, pour parler plus exactement, vers une affirmation plus nette et plus suivie de la souveraineté du Roi. C’est la guerre elle-même qui avait souligné la nécessité de ce changement d’attitude. Par un accord secret, la Hollande avait promis à l’Empereur de favoriser le retour de l’Alsace à l’Empire, et cette éventualité n’était pas pour déplaire à tout le monde. Condé, qui commandait l’armée française sur le Rhin, avait fait couper par surprise le pont de Strasbourg, de peur qu’il ne fût livré à l’ennemi par « le Magistrat », ou, en tout cas, mal défendu, et il exprimait, avec la liberté et peut-être l’exagération d’un soldat qui fait fi des ménagemens diplomatiques, l’opinion que le Roi devait affirmer avec éclat son autorité, sous peine de la perdre. « L’autorité du Roi, écrit-il à Louvois le 30 juin 1673, va se perdant absolument en Alsace. Les dix villes impériales, bien loin d’être soumises au Roi, comme elles le devraient être par la protection que le Roi a sur elles par le traité de Munster, sont presque ennemies. La noblesse de la Haute-Alsace va presque le même chemin… C’est un pied qui se prend. » Le Roi se montra : les fortifications de Colmar et des principales villes de la Décapole furent démantelées, et le gouverneur duc de Mazarin, dont Condé avait dénoncé la nullité [1], fut remplacé par Montclar (1679), soldat ne connaissant que sa consigne, qui n’accepta pas de restriction au serment de fidélité des villes de la Décapole. Partout les armes du Roi furent placées au-dessus de celles des cités et des seigneurs (1680), comme on met un point sur un i.

Mais il importe ici de ne pas faire de confusion. La souveraineté du Roi une fois hors de conteste, la royauté n’exigea rien de plus. Chacun fut confirmé dans ses droits et privilèges. Nulle coercition ne fut exercée pour enlever à l’Alsace sa physionomie propre. Elle ne fut nullement inondée de fonctionnaires étrangers à la province. Le Roi n’intervient pas dans sa vie quotidienne, il n’a pas la main lourde, il n’a même pas la main du tout dans le détail administratif. Il ne nomme aucun agent subalterne ; il ne supprime aucune des seigneuries locales

  1. « La conduite de M. de Mazarin nuit beaucoup en ce pays-ci. Il est brouillé avec tout le monde, … les peuples et la noblesse le méprisent, … les princes voisins ne le considèrent en façon quelconque, et c’aurait été un grand bien qu’il y eût eu ici un gouverneur de mérite. »