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de Bismarck de ne l’avoir lui-même ni conçue ni préparée, puis d’expliquer qu’à la fin de sa vie, en visitant à Hambourg l’un des nouveaux paquebots de la Compagnie de navigation « Hamburg-Amerika, » le chancelier avait eu peut-être, comme un autre Moïse, la vision des temps nouveaux, de cette Terre promise où il ne pénétrerait pas.

Il me paraît fort douteux que le grand réaliste qu’a été le prince de Bismarck eût jamais accepté un programme si différent du sien, — et dont l’exécution devait exposer l’Empire aux dangers, aux écueils, finalement à la coalition qu’il avait lui-même tout fait pour éviter. Le prince de Bismarck ne croyait pas que l’avenir de l’Empire fût sur l’eau, ni dans les expéditions lointaines, ni même dans cette orientation plus proche vers l’Est, vers le domaine balkanique et turc qu’il avait ménagé, comme une consolation et une réserve, à l’activité de l’Autriche-Hongrie. Le prince qui s’était tant appliqué, depuis 1871, à écarter l’éventualité d’un rapprochement entre la France et la Russie, qui avait si souvent déclaré qu’il ne voulait pas risquer de voir l’Empire attaqué simultanément sur ses deux frontières, n’aurait pas, en outre, provoqué, par la politique navale, économique et mondiale, dont les débuts datent du lendemain même de sa retraite, le conflit avec l’Angleterre, destiné à compliquer si gravement les difficultés de l’Allemagne. Je ne sais si le prince de Bismarck aurait réussi, à la longue, à maintenir dans sa puissance et sa maîtrise l’Empire qu’il avait tant contribué à fonder, mais je crois fermement que jusqu’au bout il aurait lutté pour écarter de lui, comme un calice, une politique dont l’infaillible effet devait être de liguer contre l’hégémonie allemande toutes les forces de résistance de l’Europe et du monde.

Dès 1891, lorsqu’il est affranchi de toute tutelle et hors de page, l’empereur Guillaume II commence à forger de ses mains l’instrument essentiel de la nouvelle ère : la flotte allemande. C’est là son œuvre propre et personnelle, celle qu’il impose au pays, au parlement, aux princes confédérés, en faisant luire devant eux non seulement la grandeur du but, mais l’immensité du profit. En même temps s’agrandit et s’étend le programme des acquisitions et conquêtes coloniales. Les grandes banques allemandes s’organisent de façon à pourvoir à l’exécution des nouveaux plans, à seconder, d’une part l’expansion